On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

vendredi 15 juillet 2016

Nice

Les corps, recouverts à la hâte de nappes de restaurant, jonchent la chaussée ensanglantée face à l'une des plus belles baies du monde. Après Paris et après d'autre villes, Alep, Bagdad, Istanbul - s'en est-on assez émus ? - Nice est devenue, ce soir, une sorte d'Oradour-sur-Glane.
Il n'est plus de lieu, il n'est plus d'instant où ne puisse se commettre l'insoutenable massacre des innocents. Cette époque de l'horreur ordinaire a déjà commencé et elle va durer et franchement nul ne sait comment l'affronter et y résister. Cette nuit, nous ne dormirons pas et demain non plus hélas. Et c'est de nouveau, l'effroi et le deuil et l'immense compassion pour les morts, les blessés et leurs familles.
Les étoiles et la lune scintillent encore à cette heure dans le ciel et le soleil demain se lèvera mais que ferons-nous de leur pauvre lumière ? Où la trouverons-nous ? En nous, si fragiles, si vulnérables, il le faudra bien. Mais que ce soit en commun, sans distinction entre les morts lointaines ou proches.

1 commentaire:

Dianthus Glacialis a dit…

Les marchés de Noël n’ont plus la même saveur, les sculptures d’une cathédrale que l’on visite non plus. La convivialité et l’euphorie qui emplissaient l’air quelques minutes avant le début d’un concert sont emprunts de regards, de craintes ; une fouille rapide évoque la négligence plus que le gain de temps. Derrière le joueur de guitare dans le métro parisien se cache l’ombre de nos morts et l’ombre de ceux à venir. D’effroyables visions se répandent dans mon esprit la nuit, le jour, face à des inconnus comme à mes plus proches amis. Je les vois se faire tuer et je sentirais presque l’odeur de leur sang. Quel épouvantable sentiment. Nous prenons brutalement conscience qu’une vie est à la fois ce qu’il y a de plus précieux et de plus fragile... Sombre terreur, rien ne peut parfaitement nous prémunir.

Ces morts injustes et incessantes font naitre en moi un tourment qui me donne la force de me battre pour vivre et survivre... dans le même temps, le miroir que m’offre ce monde me plonge dans une profonde angoisse. Qu’est-ce qui peut assombrir le cœur d’un homme au point de le faire porte-parole du mal ?

Goethe disait que dans la nature tout existe “l’un à côté de l’autre avec le même droit”, “le beau et laid, bon et mauvais”. La nature de l’homme n’y échappe pas mais il demeure bien plus de lumière dans les cœurs que nous ne sommes capables de le voir. S’insurger du mal est tout naturel ; ne le serait-il pas tout autant d’apprécier les beautés qui demeurent ?

Je m’insurgeais autrefois contre ceux qui oublient, contre moi-même aussi, évidemment. Comment pouvons-nous passer si rapidement à autre chose ? Combien d’attentats, de famines, de guerres, de catastrophes écologiques passons-nous sous le voile de l’oubli ? Combien de reportages ai-je visionnés pour me forcer à me souvenir ? Mais après tout, devons-nous être condamnés pour nos souvenirs disparus ou est-ce nécessaire d’oublier pour retrouver foi en l’avenir ?