On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

vendredi 27 septembre 2013

Raphaël Liogier, Ce populisme qui vient

Dans l'ouvrage qui vient de paraître, Ce populisme qui vient (chez Textuel), Raphaël Liogier s'entretient avec Régis Meyran et se livre à une analyse brillante de la montée du populisme en France et en Europe. Un populisme "liquide" qui transcende les clivages idéologiques traditionnels, qui en appelle à la fiction du Peuple et d'un accord avec le Réel mettant en péril les libertés individuelles, notamment lorsqu'il s'en prend, avec des arguments plus émotionnels que rationnels, aux nouveaux bouc émissaires que sont les musulmans (essentialisés comme les représentants d'une culture incompatible avec la nôtre et projetant sa destruction) ou encore les partisans de la mondialisation, du multiculturalisme qui menacent les fondements de notre identité nationale - sur ce point la comparaison que Liogier conduit avec les années 30 est particulièrement éclairante et inquiétante, bien qu'il y ait, évidemment, de grandes différences entre les époques. Le nouveau conflit qui se dessine au sein de la société française n'est pas entre progressistes et réactionnaires, mais entre le populisme et le libéralisme, entendu au sens d'un régime politique qui défend les droits fondamentaux de l'individu à l'autonomie. La démonstration est remarquable et passionnante.

Pour poursuivre la réflexion sur un aspect de la question, je vous invite a écouter le débat houleux, ce samedi matin dans l'émission Répliques d'Alain Finkielkraut (à 9h10 sur France culture), entre Claude Askolovitch et Elisabeth Schemla qui viennent de faire paraître des ouvrages dont les positions sont toutes opposées, Nos mal-aimés. Ces musulmans dont la France ne veut pas (éditions Grasset) et Islam, l'épreuve française (Plon). Signalons également la parution de l'ouvrage des deux sociologues, Abdellali Hajjat et Marwam Mohammed, Islamophobie, comment les élites françaises fabriquent le problème musulman (éditions La Découverte), auquel Le Monde de samedi consacre un longue page sous forme d'entretien. Je vous invite également à lire le dernier ouvrage de Martha Nussbaum, La nouvelle intolérance religieuse : Vaincre la politique de la peur (éditions Climats), qui présente le point de vue d'une grande philosophe libérale américaine, très critique sur les politiques publiques françaises d'intégration, auquel je consacrerai un prochain billet.

6 commentaires:

MathieuLL a dit…

A mon sens, populisme et anti-populisme sont deux phénomènes de même farine.

Vous parlez des appels aux sentiments... Mais le fait d'établir un parallèle entre les années 30 et la situation en France aujourd'hui n'est-il pas aussi une forme d'appel aux sentiments ?

J'observe ici une autre contradiction : la ridiculisation du concept de " peuple " et l'exaltation du multiculturalisme. Pourquoi ? Car le second suppose la présence d'un certain pluralisme entre peuples et cultures au sein des nations... Mais comment cela est-il possible s'il n'existe pas d'abord des peuples en amont ? Paradoxe des paradoxes en politique : on loue les différences et on prêche en même temps le " métissage " (terme profondément impropre car saturé de références ethniques racistes).

Alors l' "anti-populisme" se trouve
lui aussi son bouc émissaire : le peuple ! Le peuple s'invente des phobies, le peuple manque d'intelligence, etc. En bref : Le peuple devient l'origine des "maux moraux" dans la société. C'est forcément l' "étranger" qui est innocent, la victime, le bouc émissaire de notre propre bouc émissaire.

Comprenons que ces bienfaiteurs de l'humanité qui se soucient des "autres" pour ne pas avoir à penser à leur voisin et qui, par manque de réalisme, prennent leurs idéaux pour des faits, créent eux-mêmes des extrémismes en tant genre en les exaspérant par ce type de discours.

J'appelle ça du néocolonialisme... je veux parler de cette volonté d'imposer le modèle démocratique et droit-de-l'hommiste chez les " autres " tout en croyant en une unité fictive entre leur culture et la nôtre et en taxant les méfiants de fascistes.

Sur ce, je finirai avec cette magnifique citation de Finkielkraut, pertinent comme très souvent :

« La référence à l'identité nationale, dit-on, a nourri le nationalisme, et le nationalisme a déchaîné le pire. Le mot d'ordre est donc de se défaire de l'identité, au moins sous cette forme extrême. Mais, face au risque du particularisme, on ne peut plus tabler sur l'universel. Le XXe siècle a été le siècle du colonialisme : au nom des valeurs occidentales érigées en norme universelle, nous nous sommes crus en droit de dominer d'autres peuples. Le résultat, c'est la situation dans laquelle nous nous trouvons : d'un côté, rejet de tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à l'identité française, séparation farouche de la question identitaire et de la question culturelle ; et, de l'autre, célébration effrénée des autres identités. » (Finkielkraut, Marianne, n°719, Idées, samedi 29 Janvier 2011, p.76)

michel terestchenko a dit…

Cher Mathieu, les réponses à vos remarques sont dans le livre. Je n'en ai donné qu'un très bref aperçu pour en signaler l'édition

MathieuLL a dit…

Ah ! Alors il ne me reste plus qu'à le lire... (En aurais-je le temps ?) J'ai posté ce message car il est souvent très difficile de distinguer les critiques intelligentes de celles qui énoncent des trivialités. Il me semble simplement que Liogier s'enregistre dans la seconde catégorie. Son argumentation ne m'a jamais convaincue. Mais bon, peut-être que... !

Je suis simplement très opposé aux visions un peu manichéennes sur la société. Faire des musulmans d'aujourd'hui les juifs des années 30 me semble simplement ahurissant. C'est oublier que l'Islam, par essence, est conquérant. C'est un fait. Le judaïsme, lui, est pacifique car particulariste. Le coran invite au contraire à agir sur la société directement par les voix sociales et politiques. Dans l'eschatologie musulmane, l'occident ( "Rome") doit devenir musulmane. Ce sont les textes. A moins donc d'être un musulman "modéré" (concept que les occidentaux projettent sur un phénomène qui ne leur appartient pas), on ne peut pas exclure l'hypothèse que la montée de l'islamophobie en Europe soit simplement le fruit d'un choc des civilisations. Ce qui m'agace un peu, c'est que ce sont toujours des bobos parisiens (ou des équivalents) qui parlent des valeurs de l'échange, de la diversité, etc., et qui n'ont jamais été sur le terrain. Pour ma part, j'ai vécu 15 jours chez deux amis congolais et ivoiriens respectivement il y a trois ans - pour passer les vacances de Noël ensemble - dans le "neuf-trois". Savez quoi ? Ils refusaient de me laisser sortir seul par crainte que je ne fasse agressé, puisque j'étais là-haut un peu comme un étranger (bien que je ne sois pas moi-même français d'origine)... J'aurai aimé que Liogier soit avec nous.

michel terestchenko a dit…

Mathieu, vous simplifiez trop les choses. Liogier n'a rien d'un "bobo" qui ne serait pas allé sur le terrain. Franchement, vous devriez lire son lire, c'est très solidement argumenté et sa démonstration est tout sauf simpliste.

MathieuLL a dit…

Peut-être... Nous ne le saurons que dans 50 ans ! Je voulais simplement tempérer ici une vision que je trouvais moi-même trop simpliste. tout est dit dans la première phrase de mon premier commentaire. Mais entre un Liogier et quelqu'un comme Pascal Hilout, qui a le bénéfice de l'expérience, je préfère me fier au second.

Merci pour cet échange !

jacquesmggg a dit…

J'appuierai ici le constat de Mathieu relatif à l'existence en France d'un anti-populisme qui se déploie aussi par l'émotionnel - sur la question du rapport aux étrangers ou aux musulmans, et qu'on retrouve dans les éloquentes formulations d'Alain Finkielkraut de l'existence d'une "hypersensibilité ultra-simplificatrice" ou de la possibilité d'être "raciste pour un oui ou pour un non" (https://www.youtube.com/watch?v=qEx4-zAc-LM). Aussi, je relèverai deux formes du discours où l'émotion prime.

1. Le quasi total non-recours à la force des arguments (ainsi que le souhaitait pourtant Habermas dans son modèle de démocratie). C'est notamment le cas à travers un non-argumenté bafouement de la laïcité, qui va plutôt aller en faveur des musulmans. On le constate dans les acceptations du financement saoudien des cultes musulmans (quand bien même la transparence souhaitée par Macron il y aurait - l'Arabie Saoudite participe d'une lecture de l'islam fondamentalement incompatible avec la possibilité d'une société multiculturelle), du port des signes religieux (où le port du voile mais aussi de la kippa en l'occurence relèvent de l'obligation), des prières dans les rues (avec principalement les musulmans à l'oeuvre) et à la fin de l'absence de réel projet pour un islam de France. C'est aussi le cas à travers le non-argumenté rejet du concept d'islamophobie chez certains politiciens comme le président Hollande (qui pourtant, ainsi que le rappelle Finkielkraut n'est que sentiment de peur à l'égard d'un certain islam - https://youtu.be/VKbQi9j44n8).

2. L'illogique exploitation de la force des arguments (par une certaine réduction de tous les arguments relatifs à une question donnée, à une poignée d'entre eux). Ainsi que ce fut notamment le cas sur le débat de l'identité avec une certaine dissolution de toutes les argumentations en jeu dans ce que François Bousquet nomme l' "idéologie Big Other" (la défense des autres avant les nôtres - en Occident) et qui se serait d'après lui constituée en plusieurs temps : réévaluation de l'autre et dévaluation du même dans les années 50 (par la diffusion à très grande échelle des travaux de l'ethnologie) ; effondrement du mythe ouvrier qui voit l'ouvrier apparaître comme une figure éminemment conservatrice et avènement d'une nouvelle figure rédemptrice à travers le "minoritaire" dans les années 60 ; déconstruction du récit national dans la foulée d'un révisionnisme officiel qui fait le procès de l'esclavagisme (ou qui confère une prédisposition génétique au génocide à son peuple - cf. le peuple allemand) dans les années 70; diffusion de l'antiracisme militant dans les années 80; repentance des institutions à travers la reconnaissance de l'État français dans la déportation des juifs par Jacques Chirac en 95; promotion des minorités visibles et de la diversité dans les années 2000. Je vous renvoie à la conférence de François Bousquet en question : https://youtu.be/QfzNjcBhc0A.