On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

jeudi 1 septembre 2011

Sonnet caudé sur le plafond de la Sixtine

Lorsque Michel-Ange eut achevé, en 1510 de peindre le plafond de la Chapelle Sixtine, qui lui avait été commandé par le pape Jules II, le corps éreinté, épuisé, la santé brisée par une tâche aussi titanesque, il apposa dans un coin, pour rappeler le prix payé à toute cette éblouisssante beauté, le sonnet qui suit dont la langue en italien est plus âpre et rude, plus malicieusement vulgaire encore que la traduction qu'en donne Pierre Leyris :

A travailler tordu, j'ai attrapé un goïtre
comme l'eau en procure aux chats de Lombardie
(à moins que ce ne soit de quelque autre pays)
et j'ai le ventre, à force, collé au menton.

Ma barbe pointe vers le ciel, je sens ma nuque
sur mon dos, j'ai une poitrine de harpie,
et la peinture qui dégouline sans cesse
sur mon visage en fait un riche pavement.

Mes lombes sont allées se fourrer dans ma panse
faisant par contrepoids de mon cul une croupe
chevaline et je déambule à l'aveuglette.

J'ai par-devant l'écorce qui va s'allongeant
alors que par derrière elle se ratatine
et je suis recourbé comme un arc de Syrie.

Enfin les jugements que porte mon esprit
me viennent fallacieux et gauchis : quand on use
d'une sarbacanne tordue, on tire mal.

Cette charogne de peinture
défends-là, Giovanni, et défends mon honneur :
suis-je en bonne posture ici et suis-je peintre ?


Buste de Michel-Ange, Casa Buonaroti, Florence

4 commentaires:

Dominique Hohler a dit…

En passant par hasard à Bâle, tout à l'heure, devant l'étal d'un bouquiniste je me disais qu'il ne manque pas de culot, le gaillard, d'étaler aux regards des passants une bande dessinée licencieuse. On y voyait une bouche féminine proche d'un sexe masculin. Puis reprenant mes esprits je réalisai qu'il 'agissait d'un détail du plafond de la Chapelle Sixtine. Et voilà toute la charge pornographique de la première impression réduite à néant: c'est d'une chapelle dont il s'agit et de la commande d'un pape catholique !
Et pourtant, cette ébauche de corps, si on la dénude de son contexte, est telle qu'apparait la vie; dégoulinante, impudique, foisonnante … et pour l'essentiel cachée par le filtre de nos regards qui répugnent à la vérité des choses.
Cette vérité c'est Michel-Ange (et quelques autres) qui nous la montre et nous n'en sortons pas toujours indemnes, sauf à refermer l'entrevu comme un livre en nous disant que la culture c'est du loisir pour le weekend, le temps d'une soirée, entre deux salves d'applaudissements ou à l'intérieur du cadre d'un tableau.
Le plafond de la Chapelle Sixtine ne tient pas dans le cadre d'un tableau. Et même si le visiteur se fait moins mal que Michel-Ange jadis, en pliant la nuque, il ne s'en tirera pas à si bon compte. Il ressortira ébranlé, déployé et grandi grâce à l'homme qui travailla tordu.

Dominique Hohler (de Bâle)

Michel Terestchenko a dit…

Un grand merci, cher Dominique ! C'est au Kunstmuseum de Bâle que Dostoïevski vit, bouleversé à en perdre presque la foi, le Christ mort de Hans Holbein. Y est-il encore ? J'aimerais beaucoup le savoir...

Dominique Hohler a dit…

"Der Leichnam Christi im Grabe" Hans Holbein représente un corps qui ressemble à tout sauf à un Dieu. Il est toujours à Bâle, comme un écho au retable d'Issenheim qui se trouve à Colmar, dans ce couvent où passa Maître Eckhart.
Bons messages (comme on dit en Suisse) de Bâle
Dominique Hohler

Michel Terestchenko a dit…

Merci, cher Dominique !