On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

dimanche 15 mai 2011

Pietro Citati, Le Mal Absolu

Dans un entretien accordé en 2009 à Lire, Pietro Citati remarque : "Le propre du grand livre, c'est le mouvement et les infinies facettes qu'il réserve aux générations successives dans le temps. Proust est mort il y a moins d'un siècle. Songez à la quantité de visages qu'a fait miroiter la Recherche depuis sa parution jusqu'à nos jours. La voilà, la beauté de la grande littérature. On ne réussit pas à l'attraper, tant elle change de visage. Car il y a toujours quelque chose de caché et, sous le caché découvert, il subsiste encore quelque chose de caché."
Cette richesse aux facettes infinies des grandes oeuvres, peu de critiques littéraires l'ont explorée, travaillée et présentée avec autant d'amour, d'érudition, d'intelligence, de subtilité, de profondeur et de bonheur magnifique d'expression que Pietro Citati (né en 1930) qui, aux côtés de Georges Steiner - mais peut-être moins connu que lui du grand public cultivé - est un des maîtres du genre.
Après ceux consacrés à Ulysse (La pensée chatoyante), à Goethe, à Manzoni, à Proust (La Colombe poignardée), à Tolstoï, à Fitzgerald (La mort du papillon), son dernier livre Le Mal Absolu, sous-titré Au coeur du roman du dix-neuvième siècle*, est un pur chef-d'oeuvre.
Voici la présentation qu'en donne l'éditeur, et qui vous donnera une idée des raisons pour lesquelles j'en parle aujourd'hui, après m'y être plongé à corps perdu depuis plusieurs jours :
"Existe-t-il un point commun, dans cette surprenante galerie de portraits, entre le hardi Robinson et la lunaire Jane Austen, entre le vertigineux Thomas De Quincey et l'enfant terrible Pinocchio, entre les yeux d'Emma Bovary, les chevaux de Leskov et les petites filles de Lewis Carroll ? Ou bien entre le rire de Dickens et ses incursions dans les ténèbres, la pitié infinie de Dostoïevski, la vitesse et la grâce parfaite de Stevenson, les labyrinthes aériens des phrases de Henry James et les descentes de Freud dans l'Hadès tout au long des nuits au cours desquelles il écrivit L'Interprétation des rêves ? Ce qui relie ces écrivains et ces personnages, parmi bien d'autres rencontrés dans ce livre, ce n'est pas seulement leur apparition au cœur d'une époque marquée par l'apogée du roman et par des bouleversements considérables. C'est aussi le regard subtil de Pietro Citati, son intérêt passionné pour les défis de l'esprit et les aspects multiples de l'existence, son aptitude à accueillir en lui la multitude des visages et des voix qui hantent les écrivains et leurs livres. C'est enfin le fil rouge qui court à travers ces pages : Balzac, Poe, Dumas, Hawthorne, Dostoïevski, Stevenson et presque tous les grands romanciers du XIXe siècle sont attirés par une image, celle du Mal absolu. Non pas le mal étriqué et monotone de la réalité quotidienne, mais le mal fascinant que semblent diffuser les grandes ailes sombres, encore imprégnées de lumière, de Satan et des anges déchus. Car ce siècle est aussi celui du retour de Satan qui séduit, corrompt et tue, aussi magnétique et irrésistible que Stavroguine dans Les Démons. Il tend à s'identifier au Tout, jusqu'à ce qu'il révèle n'être rien d'autre que le vide vertigineux et sans bornes qui hante la conscience moderne."

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    Le passionnant entretien de Pietro Citati peut être lu à l'adresse suivante :
  • www.lexpress.fr

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    * Traduit de l'italien par Brigitte Pérol, L'Arpenteur, Gallimard, 2009.
  • 2 commentaires:

    c.odartchenko a dit…

    lectures croisées?

    Grand lecteur lui aussi, Alexander Shmemann, grand théologien, livre des réflexions bienfaisantes dans ses carnets, traduits et édités par les éditions Syrtes;
    un petit extrait; traduit par moi vite fait...
    Ayant lu les 14 grands tomes du journal littéraire de Léautaud: sentiment étrange - comme si j'étais responsable devant Dieu pour cet étonnant mécréant, débauché et pisse copie. Pourquoi est-ce que je ne me lasse pas de pénétrer cette vie, par la lecture, le regard, l'empathie? Pourquoi est-ce que Léautaud me fait du bien? Cet hiver, à Paris, j'étais à l'exposition organisée à l'Arsenal . Pourquoi ce sentiment d'être bouleversé dans cette salle absolument vide , avec son fauteuil, ses manuscrits, ses livres? Pourquoi est-ce que tout cela me paraît lumineux? Comme si en le lisant je me faisais plus simple, plus propre, plus tranquille, plus modeste. Peut-être parce que c'est tout le contraire du mensonge?"

    Anonyme a dit…

    je suis en train de lire ce livre : il est tout simplement prodigieux.
    Pierre T.