On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

vendredi 20 mai 2011

Notre caractère est notre destin

"Le premier jour de 1895, il [Marcel Proust] avait proclamé sa foi dans la liberté humaine et la grâce divine qui éloigne de nous le poids de notre caractère et de notre passé. Désormais, il n'y croyait plus. Il n'existe rien en-dehors du destin lequel n'est autre que notre caractère : "A tous les moments de notre vie nous sommes les descendants de nous-même et l'atavisme qui pèse sur nous c'est notre passé, conservé par l'habitude" [extrait de Pietro Citati, La colombe poignardée]. Léon Tosltoï aurait pu faire sienne cette amère sentence du coeur. A la fin d'Anna Karénine, Lévine décide de se changer lui-même et de consacrer désormais sa vie à devenir un homme bon, puis, l'instant d'après, s'égare, comme auparavant, à vociférer violemment contre son serviteur. Ce que nous avons fait de nous-même, notre caractère forgé par l'habitude, cette "seconde nature" dont parle Aristote, à un moment donné devient notre destin implacable. Tolstoï en savait quelque chose, lui pour qui les pulsions sexuelles étaient l'expression du mal, dont il ne put jamais se délivrer. Le grand poète russe, Athanase Feth, mort en 1892, le comparait à "un pur-sang en rupture de licol".
L'habitude n'est que la répétition au quotidien d'une "humeur" dominante que Machiavel mettait au compte de la Fortune, non de notre liberté - ce grand poncif théologique et moral auquel, selon Nietzsche, on ne peut ni croire ni ne pas croire. La pulsion, seule, n'est rien puisque l'accompagne tout un système de représentations psychiques, d'origine en partie inconsciente, dont jaillira l'acte. Quant à pouvoir exercer sur elle une véritable maîtrise, c'est le grand projet stoïcien repris par Freud, mais comme elle est difficile, peut-être impossible, à exercer ! On s'en prémunit par les vertus de l'éducation, plus tard, par un long et patient travail sur soi ou, à défaut, et plus généralement, par la crainte de la loi et des sanctions ou encore de l'opinion des autres, mais là c'est le plus souvent l'hypocrisie, les pratiques en secret, qui signent nos plus sûres défaites lesquelles, un jour, inévitablement, seront publiées au grand jour. Non, personne n'échappe à son destin ! On le voit aujourd'hui dans l'affaire qui nous sidère tous encore.

8 commentaires:

cecile odartchenko a dit…

publié sur le site d'Yves calvi dans l'espoir d'avoir d'autres infos:

on peut faire un passage à l'acte...je vous écoute en écrivant, mais tout le monde ne se retrouve pas devant la cour des Etats Unis, et la "pensée" américaine, dont la spécialité est d''être droit dans ses bottes quelques soient ses choix, dernièrement mondiaux....La première victime, c'est la victime...oui. Mais DSK , ayant déjà tout perdu, pourrait faire preuve de contrition, se repentir et faire en sorte que cette femme et sa fille puissent accéder à une vie meilleure.
je vous écoute, et ce que j'entends, c'est question de sous...
Aujourd'hui, la vraie question, il me semble, est-ce qu'une attitude digne pour lui, digne d'un homme,est encore possible, au vu de la législation américaine?...
Cette législation, peut avoir dans le collimateur de mettre à genoux et même emprisonner à vie DSK, (symbole)...mais dans ce processus qui peut être applaudi par tous ceux qui voient un homme très riche au tapis, pour ce plaisir à voir, ( sadique), est-ce qu'on n'oublie pas la victime, qui va être broyée, si le plaider coupable n'est pas envisageable?
Pour moi, c'est la question essentielle, y a-t-il, une porte "étroite" pour que la victime ne soit pas en butte à des accusations, manipulations, etc..bien pire qu'une tentative de viol? La destruction de la vie de DSK est déjà acquise, est-ce qu'il faut aussi accepter la destruction de la vie de la victime?
Est-ce qu'une législation plus moderne ne pourrait pas offrir une porte de sortie de crise, digne, pour l'un comme pour l'autre?

cecile odartchenko a dit…

Et encore:
On ne passe pas d'une âme à l'autre: on y entre par effraction et on s'enfuit. Encore heureuux si - par peur ou par vanité - on ne devient pas un assassin.

laurence harang a dit…

Bonjour,

Cécile, vous avez raison: c'est la procédure accusatoire qui est en cause. Et sans doute, cette jeune femme va être salie.
C'est vrai, on devrait se demander quelle est la procédure "accusatoire" ou "inquisitoire" qui respecte le mieux la dignité des individus.

Anonyme a dit…

je suis en accord avec ce qui précède. et le billet sur les habitudes recèle une vérité qui fait froid dans le dos, nous rend d'autant plus vulnérable, nul ne sait jamais au fond quel monstre se tapit dans l'ombre de nos habitudes. je ne peux qu’espérer que la large diffusion de l'indignation à venir contre une justice qui se voudrait "raisonnable" à vouloir travailler sur la passé et donc les habitudes d'une victime, sera tout autant désavouée que l'acte de viol présupposé, quelque soit son auteur du reste. nul doute que le ruisseau nous attend.....et à côté, je vous voudrais songer aux Espagnols qui par milliers sortent, dénoncent dignement un contexte économique politique et social éprouvé comme une insulte, et dont nos chers média ne font que peu de cas, c'est dommage...
Pierre T.

Pauline CARRE a dit…

L’impression du destin, comme force supérieure, extérieure et transcendante au monde hante souvent l’esprit de l’homme. A mi-chemin entre une croyance uniquement superstitieuse et un idéal métaphysique salvateur, il semble souvent s’apparenter à l’intuition d’un mirage existentiel, à travers lequel la vie paraît, sur le modèle de la philosophie cartésienne, se réduire à un songe. Dictant que rien n’arrive sans raison, ne laissant aucune place au hasard qui du même coup disparait, il brouille les frontières entre le prévisible et l’imprévisible, entre la crédulité et l’incrédulité humaine, qui, a forteri ne sait plus où se situe les signes d’un « fatum » impalpable, mais omniprésent. Essence idéale, colorant les comportements des hommes, et allégorie magnifiée d’un temps originel perdu, au-delà même de l’entendement et de la temporalité humaine, il se révèle comme une valeur hors du temps et de l’espace commun des êtres vivants. Signe ou parole d’une inévitable éternité, par laquelle, pour reprendre Nietzsche, « tout va, tout revient, éternellement se bâtît l’édifice de l’être », il témoigne d’une obsessionnelle volonté de clairvoyance métaphysique par laquelle, celui qui choisit d’y croire, comme Proust, aperçoit enfin la profondeur réelle du temps, et de Dieu, perdu puis retrouvé, visible et révélé, cristallisé, donnant l’ivresse de s’appartenir à soi-même. Il paraît donc entretenir avec la mémoire de l’être une relation ambigüe. Comme contenu dans la matrice originelle d’un Dieu, ou maintenu par la volonté de la Fortune, il semble contraindre l’homme à l’étrange saveur de rien faire, et de ne rien être par hasard. Qu’il s’exprime par le biais d’émotions mélancoliques ou joyeuses, dans le souvenirs d’épreuves et de fêlures jugées nécessaire au cheminement individuel, dans l’écho d’une mémoire involontaire, d’une rupture métaphysique première, ou par le secours d’une intuitive félicité, il est à l’origine, comme vous aimez à le noter, « d’une seconde nature », « d’humeurs » consciemment voulues par une forme immatérielle plus grande, influant du même coup sur les émotions déjà instables des hommes.

Pauline CARRE a dit…

suite du commentaire :
Sans s’arrêter là. Le destin marque un paradoxe : s’il semble donner l’intuition d’une rectitude, d’une destinée bien tracée, il place celui qui en est victime, face à l’incertitude de ses projets. Du bonheur et de la nostalgie ressentis par un souvenir heureux, comme celui de la madeleine, il rappelle l’inévitable credo de la mort et de l’absence, l’implacable et proustienne « douloureuse synthèse de la survivance et du néant ». Il fait alors de l’homme un anti-héros, décalé, impuissant à regarder et agir sur sa vie. Il donne l’illusion à l’individu d’être intrus, étranger à lui-même, de n’être sans cesse que le cœur d’un autre, d’un autre soi, « descendant de [soi] même » non seulement dans la fuite inévitable du temps, mais également par l’impression d’avoir été transplanté, enfanté uniquement par la volonté d’une intelligence plus grande, dont parfois, par défi, l’homme, comme le greffon rejette la légitimité. Mais la révolte et l’acceptation sont étrangères à la situation : l’homme doit faire avec. Le destin, est, existe, comme un oracle ou une machine infernale ; rien ne sert de tenter d’y résister. Comme l’écho des quatre actes peint par la machine infernale de Cocteau, présentant la destinée d’Œdipe, l’être humain paraît être, sur le modèle de l’homme-marionnette de Platon, pantin des Dieux, grâce auxquels, comme le nota l’auteur des enfants terribles, dans l’écho de Paris « les Dieux se livrent aux plaisirs de l’enfance et arrachent les ailes des mouches ». Sans qu’aucun travestissement ne soit possible. Car, le destin dit tout. Du caractère au déterminisme généalogique dans lequel il semble nous placer, il parait insatiablement vouloir nous offrir un cadre et une histoire. Individuelle et collective. Maître des civilisations qu’il fait naitre, puis mourir, des hommes qu’il place dans l’inextricable finitude du devenir, il constitue, par l’exercice seul de sa volonté, comme vous aimez à le noter « un système de représentation psychiques, en partie inconscientes, dont jaillira l’acte » de vie. Principe de vital, libido première du cosmos, le destin est donc celui qui fait prendre conscience à l’homme de ce qui est : un être libre dans ses chaines, vivant, vibrant et existant dans le monde… De sorte qu’il finisse par s’apparenter, comme tout principe religieux, à la condition nécessaire, inéluctable de la vie, aussi vital que la nourriture à la survie de l’âme et du corps, et aussi essentiel qu’un nécessaire pari sur l’avenir de l’humanité.

Pauline CARRE a dit…

suite du commentaire :
Expression d’une rigueur morale, ou bien souvent les Justes, par-delà le labeur, accèdent à la rédemption, dans un supposé au-delà, il demeure l’idéal régulateur nous guidant vers le Bien. S’il éveille, comme dans la pensée de Hume, Impressions et Idées, par lesquelles, comme le note Hume dans l’essai sur l’entendement humain, « nous pouvons diviser toutes les perceptions de l’esprit en deux classes ou espèces qui se distinguent par leurs différentes actions de forces et de vivacité », s’il nous révèle sur le monde les plus vives, nos idées, les plus discrètes, nos impressions, le destin semble guider l’orientation de notre caractère. Agissant sur notre volonté, ainsi que sur la contingence de nos impressions et de nos idées, qui du même coup, nous font ressentir avec l’univers une connexion transcendante, il est celui qui construit à la fois nos croyances et notre personnalités, au hasard des signes qu’il envoie. Révélant un étrange jeu d’intuitives similitudes, de ressemblances, de continuité, ou se jouant d’une supposée logique de cause à effet avec un principe invisible supérieur, le destin confronte l’être humain au vide existentiel et la foi d’une insupportable prédestination. En le faisant plus ou moins glisser progressivement vers la folie… Car, souvent le fatum peut-il bouleverser la logique absolue et a priori des hommes… Du rêve ou de la réalité, il mêle tout et constitue une contre-utopie, à la manière de celle décrite dans 1984 de Georges Orwell. Il entrelace la réalité et la fiction et formule l’impossibilité pour l’individu de trouver aussi bien l’ataraxie, que le bonheur ou des repères certains au sein de la fuite inévitable du temps. Il engendre un éminent cogito métaphysique, existentiel, perpétuel et angoissant, à travers lequel l’espèce humaine cherche les raisons de son passage sur terre. Il confronte l’humanité à la frustration, qui devient du même coup l’antichambre de la folie et de la névrose. La fortune brouille donc les pistes entre le rêve et la réalité, et forme du même coup le socle de blessures symboliques, inconditionnées, orchestrées par la rectitude cérémoniale de sa lourdeur. Elle fait de l’homme l’observateur d’idées préconçues, de totem et de tabous castrateurs à l’origine d’une inconfortable amnésie de ne plus savoir réellement qui l’on est. Elle accroit le doute et la dymorphophobie, et place l’individu face à l’anamorphose de son existence, au-devant de son désir de transgression, par-delà l’opacité formelle de son sens moral. Elle devient le cachot douloureux d’une étrange paralysie du corps et de l’âme, qui jamais ne parviennent à s’appartenir à eux-mêmes. Elle place l’individu au-devant de ses propres contradictions psychologiques, face à son antithèse biologique, symbolique, à travers lesquelles le caractère humain n’est jamais figé, et en perpétuel quête de sa moitié androgynique, capable de l’accomplir dans l’hermétisme du monde. De sorte que la personnalité de l’homme soit jugée aussi instable que les fluctuations du destin lui-même, puisque l’un et l’autre semblent tout deux relever de la pulsion. Instinct de vie, de mort, de construction, d’anéantissement, ou résultat des stigmates généalogiques involontaire qui le constitue, le caractère entretient avec la destinée un lien dynamique en devenir, en partie inconscient, mais libre de tout jugement et d’interprétation. Tantôt innée ou acquis, par le poids d’un passé et d’une histoire, la personnalité de l’homme est ce qui fait la magie de la synchronicité des rencontres qui nous transforment. Elle entretient donc, avec l’impression du destin, le mystère de la vie, qui nous fait espérer que notre existence sur terre a in fine un sens, par-delà sa temporalité.

Anonyme a dit…

Bonjour,

A mon sens nous sommes plus que la somme de nos habitudes, nous sommes plus que ces chiens 'pavloviens' bavant au son d'une cloche...
"Ce n'est pas la raison qui mène la vie, mais l'habitude" déclare David Hume, mais cela aussi est une 'idée' de la raison se bornant à constater...
Quelqu'un d'autre a dit :" Il en sera fait selon votre foi". On comprend pourquoi certains préfèrent "croire" plutôt que "savoir"...
Marie Emma (sepad)