On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

jeudi 19 mai 2011

L'acrobate

Soudain, le voile se déchira et le mauvais drame, ordinaire et vulgaire qui se tramait en sourdine dans les coulisses, loin des apparences de la scène où tout est beauté, honneur et gloire, s'invita au spectacle de manière fracassante. Assis dans la salle, nous croyions assister à la mise en orbite du personnage – il serait là bientôt où tous l'attendaient, plus haut encore au firmament du succès, avançant d'un pas assuré sur le chemin promis sans craindre de trébucher ou de tomber – et puis soudain, un énorme boum ! L'explosion se fit entendre, pas un de ces petits pétards que les potaches lâchent dans les cours de récréation, non ! un vrai coup de tonnerre, formidable et imprévisible, dans l'azur immaculé du ciel et se propageant à la vitesse quasi immédiate des ondes médiatiques. On se frottait les yeux, incapables de croire à ce que nous avions sous les yeux, saisis d'un vertige qui nous avait jetés à terre, comme si les sièges sur lesquels nous étions tranquillement assis avaient été renversés par une force d'une brutalité démoniaque – aucun exemple par le passé, sauf dans Shakespeare peut-être, ne nous avait préparés à une déchéance aussi théatrâle. Nous croyions le créateur de la pièce bienveillant et voici qu'il se montre d'une implacable cruauté.
Le héros, l'auteur de la pièce l'avait techniquement doté de tous les atouts que les bonnes fées accordent si rarement à un humain : l'intelligence hors-pair, l'admiration de la foule qui applaudit à chacun de ses gestes, la fortune qui vous met à l'abri des événements – la maladie, un accident fortuit auraient seuls pu le faire tomber de sa trajectoire forcément ascendante. Mais, non, cela ne pouvait, ne devait pas arriver ! Certes, il y avait eu par le passé quelques anicroches, des propos tenus à l'écart des oreilles de l'opinion, un haut poste qu'il avait dû abandonner, mais l'acrobate était remonté sur la corde : au-dessus du vide, plus il avançait vers l'or chatoyant du palais, un pas devant l'autre, avec une assurance gracile, presque sans effort, plus nous applaudissions à la performance. Sauf que le vide n'était pas au-dessous de lui, le vertigineux abîme qui sépare les grands de ce monde de la masse des hommes ordinaires : le vide, à l'insu de tous, il l'avait depuis longtemps creusé dans son coeur, taillant mortellement à la hache la position que ses talents lui avaient si naturellement obtenue. Sous nos yeux atterrés - à peine arrive-t-on encore à le croire - le danseur glorieux, jusqu'alors accueillant avec l'arrogance presque modeste ce qui lui était naturellement dû, n'est plus désormais qu'un détenu humilié et hagard, pris et sans doute bientôt broyé par l'immense système dont jusqu'à présent il maniait si habilement les fils. Si nous ne pouvons nous détacher de ce visage défait, et qu'en boucle les images tournent dans nos têtes, ce n'est pas que nous cédons à la tentation du voyeur ou que nous nous réjouissons secrètement de la chute de l'ange : la fascination qui nous fige, et nous retient dans la répétition de l'instant, où sous nos yeux incrédules une existence humaine - celle-là plus que tout autre - bascule et s'effondre, relève de la stupeur et de l'effroi.
Nous ne savons pas encore quelle fin l'auteur de la pièce, un vrai machiavélien à n'en pas douter, réserve à son héros. Mais quoiqu'il en soit à l'avenir, nous savons déjà qu'il a joué avec nos nerfs. Car si la déchéance de l'acrobate, aux prises avec son instinct de mort, était inscrite dans l'ordre des choses, l'attestation publique qu'il n'est personne qui ne soit un jour rattrapé par sa propre réalité, dans le même temps, intuitivement, nous sommes saisis (du moins est-ce le cas pour moi) par une sorte de vertige métaphysique, comme si derrière cette histoire humaine d'une déchéance aux allures de tragédie, dont le héros est probablement seul responsable – jusqu'à quel point, nous l'apprendrons sans doute un jour, mais, à ce stade, au fond peu importe puisque le mal est déjà fait - triomphait une puissance adverse, perfide et mauvaise, qui se gausse sardoniquement de notre pauvre humanité. Cette divinité capricieuse et franchement sadique dont Machiavel disait : « La Fortune élève un homme au sommet et le jette à terre, afin qu'elle en rie et qu'il en pleure ».

9 commentaires:

cecile odartchenko a dit…

merci pour ce commentaire génialement poétique, pour une "performance" qui malheureusement ne l'était pas!
A 3000 euros la "nuitée", on aurait pu jeter un coup d'oeil indiscret dans une chambre d'un autre luxe..par exemple l'ex chambre de Mistinguet à l'"HOTEL" de la rue des Beaux-arts, où il y a aussi la chambre de ce pauvre Oscar Wilde!
Mais depuis un moment cependant, avec ce qu'on apprenait du FMI à l'occasion des "chutes" tout aussi vertigineuses, de pays chers à notre coeur, l'estime pour l'acrobate en question commençait à s'émietter un peu! En prison, donc probablement, et drogué pour cause de pulsions irrespressibles et souffrance sans remède, va-t-il nous écrire des mémoires ébourrifantes sur la vérité du pouvoir aujourd'hui, qui atteint des sommets jamais vus??? Les fortunes qui se construisent et vident les caisses des pays entiers, berceaux de nos cultures, rendraient fou????

Didier a dit…

Bravo Michel. C'est tellement beau quand le style, la culture, la raison, l'intelligence et le coeur arrivent à jouer ensemble pour faire cette belle symphonie qu'est ce petit texte si juste et si différent des discours ambiants. Moi je vois aussi le fameux pêché d'hubris qui encore une fois se voit frappé par je ne sais quel puissance métaphysique (comme tu dis si bien). Voila Icare au sol qui a perdu ses ailes en en abusant. La liberté individuelle demande du discernement pour ne pas aller trop loin ou trop haut ou trop bas en l'occurrence. Ce texte est très beau je vais le mettre en lien sur ma page facebook. Ca changera de ma prose. Didier

Manuel a dit…

Trés beau texte réellement!

Mais étrange il ressemble à une prédiction : sans citer le nom de DSK, il peut s'appliquer à d'autres personnages passés ou actuels, notre lecture étant biaisée par l'actualité brûlante.

Défaut du lecteur, qualité littéraire du texte et de son auteur donc!


Manuel

Michel Terestchenko a dit…

Merci, chers amis, vos commentaires si gentils me comblent. Oui, c'est bien ainsi que je vois les choses. On me pousse à le proposer à la presse, je ne sais pas. Je n'ai vraiment pas encore de courir les rédactions !

Michel Terestchenko a dit…

Puisque vous m'y invitez, je fais jouer quelques contacts, directs et indirects, dans la presse. On verra bien, je vous dirai.

David Joveneau-Mevel a dit…

Je trouve l'évocation par le terme « d'acrobate » extraordinairement pertinente. Comment autrement rendre l'état d'une âme où se côtoient la grandeur et l'appel de la fange ?
Ou pour revenir aux termes que vous avez par ailleurs si bien traités : comment le mal peut-il être concevable aussi bien logé en l'homme, alors que l'action publique du même homme ne présente qu'intelligence et humanisme ?
Se pourrait-il que la malignité soit première ici, qu'elle soit la base de l'homme? Et que le sachant et l'ayant reconnue, il n'a eut de cesse que de la faire taire et de lutter contre elle en allant chercher toujours plus loin la hauteur et la grandeur de s'en arracher. Trouvant dans l'action politique et donc dans le regard d'autrui la considération qu'il se refusait lui-même à lui-même, à la vue de son soi profond.
Et si malgré le fait qu'elle risque de ressurgir à chaque instant, la vraie grandeur ne s'obtenait que par le combat contre sa propre bassesse ? La noirceur du mal étant finalement la condition nécessaire pour rehausser d'autant la blancheur du bien...
J'ai lu beaucoup d'oppositions mettant une victime d'un côté et un coupable de l'autre (les personnages s'interchangeant les places selon l'obédience du rédacteur). Pourtant dans ce que je crois voir, et si les faits sont tels qu'énoncés, je ne vois que deux victimes.
L'une victime de l'autre et l'autre victime de lui-même. Et les deux de la foule aussi, un peu, sans doute.

Merci donc pour ces lignes où enfin l'on pointe un peu plus la chute du doigt que celui qui est tombé.

(et je retourne travailler pour être dans les temps, promis !...)

Anonyme a dit…

c est tout bonnement sublime !! merci mon cher Didier pour ce "présent" plein de bon sens ... ce qui n est pas toujours le cas présent ...
jean luc hannoun

michel terestchenko a dit…

Merci à tous pour vos bons commentaires.

Florent a dit…

Oh oui! Dans la presse! Et vite!
Bravo!