On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

lundi 23 mai 2011

La femme de chambre et le financier par Irène Théry

La sociologue Irène Théry* publie sur le site du Monde un bel article, "La femme de chambre et le financier", qui nous aide à dépasser le dilemme, évidemment faux, qui nous contraindrait à défendre ou bien la présomption d'innocence du mis en cause ou bien la parole de la victime supposée.
En voici un extrait :

"[...] D'un côté, il y a ceux qui soulignent avant tout la valeur fondamentale de la présomption d'innocence à laquelle a droit l'auteur allégué des faits. Ils ont semblé, dans les premiers jours, si majoritaires parmi les ténors qui font l'opinion en France et si indifférents au sort de la victime présumée qu'on n'a pas manqué de les traiter de défenseurs patentés de l'ordre patriarcal. Il est vrai que des réflexes machistes assez cognés ont fleuri ici et là pour défendre à leur manière l'innocence virile : "il n'y a pas mort d'homme", "un troussage de domestique"... Mais on aura peine à nous faire croire que ces insanités d'un autre âge soient le révélateur providentiel d'un complot masculin caché sous la défense intransigeante des droits des justiciables. Ce n'est pas la défense des mâles dominants qui est préoccupante chez ceux qui croient trouver dans la présomption d'innocence la boussole unique guidant leurs réactions; c'est plutôt un certain aveuglement mental aux défis nouveaux surgis du lien social contemporain.

Car de l'autre côté, il y a ceux – au départ plus souvent des femmes, féministes et engagées – qui s'efforcent de porter au plus haut des valeurs démocratiques une forme nouvelle de respect de la personne, qui n'a pas encore vraiment de nom dans le vocabulaire juridique, et qu'on pourrait appeler son droit à la présomption de véracité. C'est la présomption selon laquelle la personne qui se déclare victime d'un viol ou d'une atteinte sexuelle est supposée ne pas mentir jusqu'à preuve du contraire. Le propre des agressions sexuelles, on le sait, est qu'à la différence des blessures ou des meurtres, leur réalité " objective " ne s'impose pas d'elle-même aux yeux des tiers. Ont-elles seulement existé ? Avant même qu'un procès n'aborde les terribles problèmes de la preuve et de la crédibilité des parties en présence, la question spécifique que posent ces affaires judiciaires s'enracine très exactement là : ce qui est en jeu au départ n'est jamais seulement la présomption d'innocence du mis en cause, mais la possibilité même qu'une infraction sexuelle alléguée prenne assez de réalité aux yeux de tiers qualifiés pour ouvrir la procédure. Cette possibilité passe en tout premier lieu par la possibilité donnée à une victime présumée d'être vraiment écoutée. On accueille de mieux en mieux, dans nos commissariats, les victimes sexuelles qui déposent plainte. Mais sommes-nous prêts, dans la culture politique française, à considérer la présomption de véracité comme un véritable droit ? Rien n'est moins sûr.[...]

L'article peut être lu dans son intégralité à l'adresse suivante :
  • lemonde.fr

    ________________
    Dernier ouvrage paru : Des humains comme les autres : Bioéthique, anonymat et genre du don, Cas de figure, EHESS, 2010.
  • www.amazon.fr
  • 2 commentaires:

    cecile odartchenko a dit…

    même débordés de travail ( marché de la poésie oblige) , on n'échappe pas à l'affaire DSK. Nous serons interpellés pendant encore longtemps...et peut-être même pas, si tout à coup cette téléréalité ( mieux que Dalas!) s'éteint parce que finalement dessous la table on aura réussi à offrir des millions à la victime qui retirera sa plainte et pfft...il y aura beaucoup d'"hommes"(?) et de femmes qui s'écraseront, on en entendra plus parler, il n'y aura pas de jugement, tout le monde content, après tout, elle aura gagné le gros lot! C'est beaucoup pour une "giclée".
    sauf qu'il y a l'honneur...
    Et l'honneur ne peut pas se satisfaire de ces tractations de l'ombre...
    Pour que l'honneur soit sauf, il faut qu'il y ait un acte public de contrition...
    Oui, "je plaide coupable, je suis désolé, et je demande à madame, d'accepter mes excuses et réparation dans la mesure de mes moyens." ceci doit être DIT.
    On ne va pas dans cette direction et la justice américaine qui est dure, sauvage,peut-être égalitaire nous dit-on, accepte quand même qu'on paye des dessous de table... On verra. Si c'est ça, je serai toujours navrée à l'idée que la victime n'ait pas eu droit à des excuses publiques...

    Michel Terestchenko a dit…

    Peut-être, chère Cécile. Mais c'est déjà beaucoup s'avancer puisque nous ne savons encore rien du fond de l'affaire. Il y a eu et il continue d'y avoir beaucoup trop de supputations. L'argument d'Irène Théry nous permet justement de ne pas prendre partie, puisqu'il s'agit de s'en tenir au respect de deux principes : la présomption d'innocence et la présomption de véracité. Nous pouvons ainsi marcher sur deux jambes, et non pas sur l'une ou bien sur l'autre, claudiquant selon nos opinions personnelles;