On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

mardi 19 avril 2011

Banalité du mal

Nous les voulions vampires, assassins au visage de brute, idéologues hurlants assoiffés par la haine, du genre petite moustache au-dessus de la lèvre - un testicule en moins, parait-il, mais ça n'explique pas tout -, joyeux guerriers trancheurs de tête, ou pervers voyeur sadique qui te regarde, petite fillette, droit dans les yeux pour ne rien perdre du plaisir de la scène, ou encore, dans un autre registre, hérétiques aux dogmes consacrés, grands libertins crachant un Non définitif à la pénitence, enfin, tous, à leur façon, suppôts du diable et génies du mal, mais cette vision noire romantique des méchants butte sur une réalité autrement plate : pour se comporter en individu destructeur, suffit amplement le petit être falot, docile, obéissant aux ordres, le doigt sur la couture du pantalon pourvu que l'autorité lève un peu le ton. Ajoutez à la recette une bonne dose de deshumanisation des « cafards » ou des « crevards », idéologiquement, j'allais dire « hygièniquement », justifiée au nom du bien cela va de soi, plus, très important de ne pas oublier le poison de la camaraderie et le courage viril de celui qui en a, enfin, un sens aigu de l'occasion à ne pas manquer pour se faire bien voir, et en avant toute, les fours brûleront nuit et jour, le canon ne manquera jamais le cou qu'il vise, les couteaux seront maniés avec la plus grand dextérité, quant à la gégène, n'ayez crainte qu'elle ne tombe en panne, on déjà trouvé plus subtil. Le mal vécu, subi, chez l'être réduit à sa chair, est un infini insondable, aux confins des possibilités d'expression du langage, mais ceux qui l'infligent sont en majorité de petits hommes ordinaires, un rien fantomatique, dénués d'imagination, quoique d'une efficacité digne d'éloge - toute leur morale est là : bien faire leur « travail ». Cela est-il rassurant que l'individu destructeur soit descendu de son douteux piedestal, qu'il ne soit nul besoin de faire appel à sa cruauté ou à son désir de mort pour l'enrôler ? Non, c'est terrifiant. Les circonstances aidant, il est vous, il est moi !

4 commentaires:

cecile odartchenko a dit…

Libérons Mumia Abu Jamal - Actualite détail
www.mumiabujamal.com
l aura 57 ans le 24 avril prochain dont 29 passés dans le couloir de la mort. Plus de la moitié de sa vie !A cette occasion, le Collectif Unitaire National : // Organise un rassemblement devant le Consulat des Etats-Unis à PARIS le MERCREDI 20 AVRIL (rendez-vous à 18h - angle rue de Rivoli / Jardin

Anonyme a dit…

Me revient en mémoire le dire de cette illustre femme (dont le nom m'échappe !!) qui expliquait qu'un enfant ne naissait pas innocent, mais que c'était en grandissant qu'il se déculpabilisait....
à l'évidence des fois ça ne fonctionne pas... vraiment désolé d'avoir oublié le nom de cette penseuse...

Pierre T.

Guillaume Silhol a dit…

J’ai trouvé une digression intéressante pour compléter votre billet, venant certes d'un théologien et non philosophique, en relisant "Résistance et Soumission" de Dietrich Bonhoeffer :

« La grande mascarade du mal a brouillé toutes le notions d’éthique. Pour l’homme formé par nos conceptions morales traditionnelles, il est déconcertant de découvrir que le mal apparaît sous la forme de lumière, de bienfait, de nécessité historique, de justice sociale ; pour le chrétien nourri de la Bible, ce phénomène confirme sa notion de l’essence du mal.
La faillite des gens raisonnables qui voudraient redresser la charpente disloquée avec les meilleures intentions du monde, et en méconnaissant totalement la réalité, est manifeste. Avec leur vue courte, ils voudraient rendre justice à tous et sont ainsi neutralisés par le choc des puissances qui se heurtent, sans parvenir à quoi que ce soit. Déçus par l’absurdité du monde, ils se voient condamnés à la stérilité ; ils s’effacent avec résignation ou se soumettent sans retenue au plus fort.
L’échec de tout fanatisme éthique est le plus bouleversant. Le fanatique croit pouvoir affronter la puissance du mal grâce à sa pureté. Mais, comme le taureau, il n’atteint que la cape rouge et pas le toréador lui-même ; il finit par s’épuiser et se laisser vaincre. Il se perd dans l’accessoire et se laisse prendre au piège du plus malin.
L’homme doué de conscience se bat solitaire contre la prépondérance d’un état de contrainte qui exige de lui une décision. Mais la dimension des conflits, qu’il doit trancher avec sa conscience comme seul juge et seule conseillère, l’écrase. Les déguisements innombrables, honorables et séduisants, que choisit le mal pour s’approcher de lui, le rendent anxieux et incertain, jusqu’à l’amener à se contenter d’une conscience tranquille plutôt que pure, jusqu’à le faire mentir à lui-même pour ne pas désespérer ; car l’homme qui trouve en lui son propre appui ne comprendra jamais qu’une mauvaise conscience peut être plus forte et plus salutaire qu’une conscience abusée.
La voie sûre du devoir semble conduire hors de la troublante profusion des décisions possibles. Ici un ordre est un absolu ; la responsabilité incombe à celui qui ordonne, non à l’exécutant. Mais en s’en tenant au seul devoir, in ne court jamais le risque d’une action responsable, qui seule peut atteindre le mal en son centre et le vaincre. L’homme de devoir exécutera finalement les ordres du diable en personne.
Mais celui qui assume le risque d’une liberté personnelle, qui préfère l’action nécessaire à la pureté de sa conscience et de sa réputation, qui est prêt à sacrifier un principe stérile à un compromis fécond ou une sagesse stérile et médiocre à un radicalisme fructueux, que celui-là prenne garde que sa liberté ne le fasse pas tomber. Il consentira au mal pour éviter le pire, incapable de discerner que le mal qu’il veut éviter pourrait être le meilleur. C’est là l’élément de mainte tragédie.
En fuyant le débat public, tel ou tel peut atteindre le refuge de la vertu personnelle. Mais il doit fermer la bouche et les yeux devant l’injustice qui l’entoure. Il ne peut rester net de la souillure d’une action responsable qu’en se trompant lui-même. Ce qu’il fait ne le rassurera jamais sur ce qu’il ne fait pas. Ou il succombera à cette inquiétude, ou il deviendra le plus hypocrite des pharisiens.
Qui tient bon ? Seul celui dont le critère suprême n’est ni sa raison, ni son principe, ni sa conscience, ni sa liberté ou sa vertu, mais qui est prêt à sacrifier tout cela lorsque, attaché à Dieu seul, il est appelé par la foi à une action obéissante et responsable ; celui dont la vie ne veut être autre chose qu’une réponse à la question et à l’appel de Dieu. Où sont donc ces responsables ? »
(pp.2-4, Labor et Fides)

Cordialement,

Guillaume Silhol

PS: Il y a une coquille sur le "piédestal".

Michel Terestchenko a dit…

Merci, cher Guillaume, d'avoir songé à cette immense figure qu'est Dietrich Bonhoeffer et à ce livre admirable, Résistance et soumission dont vous nous donnez un magnifique extrait. Bonhoeffer, un des plus grands théologiens protestants, fut exécuté par les nazis en 1945 - je ne me souviens plus de la date exacte - pour ses liens avec le colonel von Stauffenberg, cet officier qui tenta d'assassiner Hitler en 1944.