On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

vendredi 24 septembre 2010

Idées fausses sur la violence et la délinquance

Laurent Bègue, professeur de psychologie sociale à l'université de Grenoble, publie ce mois-ci chez Dunod, L'agression humaine. A cette occasion, il a accordé au site Rue89 un entretien où il dénonce huit idées fausses sur la violence et la déliquance.

Le monde est de plus en plus violent

Au cours des deux derniers millénaires, la mortalité par homicide a été divisée par des chiffres qui vont de 10 à 100 dans le monde occidental.
Selon le criminologue Manuel Eisner, leur fréquence était d'environ 40 pour 100 000 au XVe siècle dans les grandes villes européennes. Ce taux a drastiquement chuté à 11 pour 100 000 au siècle suivant, et à 3,2 pour 100 000 au XVIIe siècle. Au XXe siècle, il était de 2 pour 100 000. Il s'élève désormais à 1,1 pour 100 000 dans notre pays.
Le monde moderne serait donc moins violent selon cet important critère. Les armes contemporaines s'avèrent incontestablement plus destructrices, mais selon les estimations de l'anthropologue de Stanford Lawrence Keeley, la proportion de morts par guerre était beaucoup plus élevée dans le passé.

La vidéosurveillance permet de faire diminuer la délinquance contre les personnes

L'idée d'un contrôle total ou « panoptique », à laquelle Michel Foucault a consacré de nombreuses pages dans « Surveiller et punir », est aujourd'hui amplement investie par les techniciens de la prévention situationnelle de la délinquance, qui estiment que « la visibilité est un élément central de la prévention ».
Plusieurs synthèses générales de la littérature scientifique internationale indiquent cependant que les caméras n'ont aucun impact sur les violences physiques et que leur effet sur les vols est faible et essentiellement limité aux effractions et vols dans certains parkings à risque.

Les femmes sont moins agressives que les hommes

Les hommes donnent plus volontiers des coups de poing, secouent, frappent avec un objet et s'engagent dans une bagarre. Mais les femmes se montrent quant à elles plus enclines à pincer, griffer, ou donner des coups de pied.
Les filles emploient plus souvent l'agression relationnelle, blessant les autres en propageant des rumeurs, ébruitant des mensonges ou exerçant le rejet social.
Concernant les agressions entre partenaires, une monumentale synthèse de la littérature a indiqué que les femmes étaient légèrement plus enclines que les hommes à agresser physiquement leur conjoint. Lorsque les agressions féminines sont graves, une arme est souvent employée (dans 86% des cas contre 26% quand c'est l'homme qui agresse une femme).
Toutefois, les blessures graves ou mortelles sont plus fréquemment commises par des hommes, ce qui peut s'expliquer en partie par les différences de force physique : les hommes ont en moyenne 35 kilos de muscles (contre 23 kilos pour les femmes) et leurs muscles sont jusqu'à 40% plus forts biochimiquement, kilo par kilo.

Les conduites d'agression augmentent à l'adolescence

L'observation systématique des interactions entre enfants en crèche et à l'école, ainsi que plusieurs enquêtes épidémiologiques démontrent qu'à l'exception d'un faible pourcentage d'enfants pour lesquels l'agression semble très stable, la majorité est de moins en moins encline à recourir à des conduites agressives entre la petite enfance et l'adolescence.
Cette observation n'est pas limitée aux environnements sociaux les moins difficiles. Selon une vaste étude, la grande majorité des garçons des quartiers les plus pauvres du Canada avaient de moins en moins souvent recours à l'agression physique entre 6 et 15 ans.

Les adolescents ayant une activité professionnelle sont moins délinquants que les autres

Les adolescents ayant un emploi rémunéré ne sont généralement pas moins mais légèrement plus délinquants que les autres.
Selon les recherches de Marc Leblanc, professeur de criminologie à l'université de Montréal, ce phénomène s'explique par le fait que l'activité professionnelle précoce, souvent précaire et peu gratifiante, peut soustraire à l'influence parentale structurante, exposer à des pairs susceptibles d'initier des actes délinquants et donner des moyens d'échapper à la surveillance des proches grâce à l'accès à de nouveaux moyens de locomotion, par exemple.

L'amour de soi rend moins violent

Selon un stéréotype bien ancré, la violence serait la regrettable conséquence d'un « moi » qui s'autodéprécie. Les enquêtes menées auprès d'individus ou de groupes violents, incarcérés ou non, démontrent au contraire que ceux-ci se caractérisent plutôt par un moi surdimensionné.
On considère que les personnes qui sont fortement d'accord avec des affirmations comme « j'aimerais que quelqu'un écrive un jour ma biographie », ou « si je dirigeais le monde, il serait un meilleur endroit pour vivre » ont une tendance narcissique, c'est-à-dire une admiration aveugle de leur propre personne.
Lorsque ces individus sont rejetés, reçoivent une mauvaise évaluation ou sont provoqués, ils se montrent beaucoup plus agressifs que les autres.

Les films violents permettent de se libérer de l'agression

Visionner régulièrement des films violents à 14 et 21 ans augmente les conduites agressives de l'adulte, indépendamment du QI, de la classe sociale, des pratiques éducatives parentales ou du niveau de tendances agressives.
Plusieurs synthèses de la littérature impliquant plus de 100 000 participants cumulés confirment ces résultats. Non seulement on n'observe pas le fameux phénomène de catharsis, mais la violence visionnée augmente la violence réelle.
Par ailleurs, donner foi à l'idée de catharsis suffit à rendre plus agressif. Lorsque l'on amène ainsi des personnes à croire que leur humeur irritée (suite à une provocation en laboratoire) ne changerait pas quoi qu'ils fassent dans l'heure à venir (à cause des effets secondaires de « gel de l'humeur » induits par une pilule de « bramitol » (un faux médicament) qu'ils avaient avalée et qui était censée augmenter leur temps de réaction à une tâche de psychologie cognitive), la colère produite par une provocation ne conduit pas à une agression.

L'effet de l'alcool sur le cerveau produit des actes violents

L'ivresse n'est ni une cause nécessaire ni suffisante des conduites agressives. Avoir été alcoolisés, les gens sont plus agressifs mais aussi plus altruistes ou plus amicaux. Tout dépend de ce sur quoi se porte l'attention de la personne ébrieuse : c'est l'effet de « myopie alcoolique ».
L'un des mécanismes explicatifs concerne l'interprétation des conduites d'autrui : des hommes alcoolisés en laboratoire (1 gramme d'alcool par litre de sang, soit l'équivalent de cinq à six demis de bière) sont plus enclins à penser qu'une action ambigüe est intentionnelle.
Nos travaux indiquent également que les effets de l'alcool s'observent même sans molécule d'alcool : des personnes qui consomment un cocktail ayant un goût d'alcool (placebo) et se croient alcoolisées sont plus agressives après une provocation.
Enfin, le simple fait de présenter à des individus quelques millisecondes des mots liés à l'alcool stimule l'agression sans qu'ils n'aient bu une seule goutte d'alcool.

  • www.rue89.com
  • Décence ordinaire

    Il y aurait beaucoup à méditer au sujet de cette "anecdote" que rapporte Georges Orwell, sur "ce qui se fait" et "ce qui ne se fait pas" selon les circonstances : les raisons en l'occurrence pour lesquelles on ne peut pas tirer sur un soldat qui tient son pantalon à deux mains ou qui est nu, alors qu'on n'éprouverait aucune gêne, en temps de guerre s'entend, à mettre en joue et à tuer un homme en uniforme :
    "Au même moment, un homme qui portait sans doute un message pour un officier, bondit hors de la tranchée et courut le long du parapet, complètement exposé. Il était à demi vétu et il retenait les pans de son pantalon des deux mains tout en courant. Je m'abstins de lui tirer dessus. C'est vrai que je suis un piètre tireur, et incapable d'atteindre un homme qui court à une centaine de yards ... Mais je ne tirai pas en partie, à cause de ce détail du pantalon. J'étais venu ici pour tuer des "fascistes", mais un homme qui retient son pantalon n'est pas un "fasciste", il est manifestement une créature pareille à vous, et vous n'avez pas envie de lui tirer dessus".
    Cette histoire a été commentée par la philosophe Cora Diamond lors d'une conférence donnée à l'académie militaire de West Point et elle est citée dans l'excellent ouvrage dirigé par Pascale Molinier, Sandra Laugier et Patricia Paperman, Qu'est ce que le care ? Souci des autres, sensibilité et responsabilité (Petite Bibliothèque Payot, 2009).
    Je dois dire que je serais curieux de connaître votre interprétation...

    mercredi 15 septembre 2010

    L'inquiétude me gagne que mes proches ont pu être heurtés par mon éloge, certainement intempestif, sur l'ingratitude. Mais ils savent ce que je leur dois et combien ils ont mon affection et ma reconnaissance. Tel est le malentendu qui guette l'exercice parfois difficile de l'écriture : ce qu'on exprime risque d'être pris pour argent comptant, alors que c'est le résultat improbable où se mêlent réflexions, lectures, expériences vécues ou rêvées sans qu'il soit nécessaire de donner à cette alchimie une dimension immédiatement personnelle.

    dimanche 12 septembre 2010

    Hommage à Kathleen Ferrier

    Un bel hommage de la BBC à la merveilleuse cantatrice, Kathleen Ferrier (1912-1953), trop tôt disparue à l'âge de 41 ans :
  • www.youtube.com
    Ecoutez cette voix unique, profonde et suave, dans la sublime et déchirante aria de La passion selon saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach, "Erbarme dich mein Gott", sous la direction d'Herbert von Karajan :



    Erbarme dich, mein Gott,
    Um meiner Zähren Willen !
    Shaue hier, Herz und Auge
    Weint vor dir bitterlich.
    Erbarme dich, mein Gott !

    Aie pitié, mon Dieu
    A la vue de mes larmes
    Vois mon coeur et mes yeux
    Pleurent amèrement devant toi
    Aie pitié, mon Dieu
  • jeudi 9 septembre 2010

    Eloge de l'ingratitude

    Bien sûr, il est des actions de gentillesse, de générosité, de bonté qui appellent naturellement, spontanément, la reconnaissance parce qu'on perçoit qu'elles émanent d'une volonté réellement bonne et désintéressée de venir en aide et d'apporter le secours que l'on peut. Mais est-ce toujours le cas ? La reconnaissance est une obligation inconditionnelle ? Quiconque, dira-t-on, ayant reçu un don et bénéficié d'une largesse de « charité » doit toujours être reconnaissant, multiplier les preuves de remerciement – merci, merci ! - se confondre en gages qu'il est bien l'obligé, le débiteur, l'inférieur malgré tout, voilà bien la moindre des choses, n'est-ce pas ? Une affaire de politesse en somme sans quoi tout irait de travers. Franchement, imaginerait-on qu'on puisse faire l'apologie d'une attitude inverse ? Parce que la pureté du don exigerait qu'il soit non seulement sans récompense mais qu'il rencontre l'ingratitude du donataire, comme le demande Lévinas dans L'humanisme de l'autre homme ? Mais l'exigence est trop « logique » ou théorique pour être tout à fait recevable. Tout autre est la position d'Oscar Wilde qui soutient l'idée d'une sorte de droit moral des plus démunis au mécontentement, à ne pas être reconnaissants, à adopter envers leur bienfaiteur (envers l'Etat ?) une attitude résolument hostile, et cela parce que le geste secourable - on dirait aujourd'hui d'assistance - s'exprime sur le fond d'une injustice sociale que ne comble nullement la bienveillance (éventuelle) dont il émane. Cet extrait, tiré de L'âme de l'homme sous le socialisme (1891), quand on y songe, n'est peut-être pas aussi provocateur qu'il y paraît.
    « On nous dit souvent que les pauvres sont reconnaissants envers la charité. Quelques-uns le sont, sans nul doute, mais les meilleurs d'entre les pauvres ne sont jamais reconnaissants. Ils sont ingrats, mécontents, désobéissants et rebelles. Et ils ont parfaitement raison de l'être. Ils ressentent la charité comme un mode ridiculement inadéquat de restitution partielle, ou une aumône sentimentale, s'accompagnant habituellement de quelque impertinente tentative de la part de l'individu sentimental pour exercer une tyrannie sur leurs vies privées. Pourquoi seraient-ils reconnaissants pour les miettes qui tombent de la table du riche ? Ils devraient être installés à cette table, et ils commencent à le savoir. Quant à être mécontents, un homme qui ne serait pas mécontent d'un environnement et d'un mode de vie tels que les leurs serait une parfaite brute. La désobéissance, pour quiconque a lu l'histoire, est la vertu originale de l'homme. C'est à travers la désobéissance que tout progrès s'est effectué, à travers la désobéissance et la rébellion (…) Non : un pauvre qui est ingrat, dépensier, mécontent et rebelle, a probablement une réelle personnalité ; et il y a de la ressource en lui. Il représente à tout le moins une saine protestation. »
    L'idée me vient qu'il serait intéressant d'écrire aussi un petit essai corrosif qui aurait pour titre Eloge de l'ingratitude. Mais au fond est-ce bien la peine, nous ne croyons même plus aux valeurs de la philanthropie ! La charge d'Oscar Wilde avait un sens à la fin du dix neuvième siècle. Mais serait encore le cas aujourd'hui ?

    dimanche 5 septembre 2010

    Largesse d'âme

    La sagesse populaire a raison de dire que pour rester amis il ne faut jamais toucher un homme au portefeuille. N'est-il pas placé sur le coeur comme une plaque de métal qui repousse avec horreur la lumière du soleil ? Souvenez-vous des cris d'orfraie d'Harpagon dans L'avare de Molière ou du père Grandet chez Balzac. Me revient aussi en mémoire ce mot de Machiavel qu'un homme vous tiendra moins rigueur de lui prendre sa femme que son argent. De toutes les vertus, la plus rarement trouvée et, par conséquent, la plus digne d'admiration est la générosité ou, comme dit Aristote, la libéralité. Mais c'est une vertu aristocratique de grand seigneur, quoique, plus que les nantis, ce soient souvent les gens simples et de peu de moyens - il y a des exceptions pourtant, j'en connais et je les salue bien respectueusement - qui agissent avec cette largesse qui est une largesse d'âme. A quoi s'ajoute qu'il faut savoir donner comme il convient : non pas du bout des lèvres, ni en maugréant ou en humiliant le donataire, mais avec joie : généreusement, précisément. La beauté du geste réclame que le coeur y mette un peu de vraie chaleur. Mais combien cela est rare !
    Cette avarice est-elle un trait psychologique universel ? Peut-être. En d'autres temps, les hommes ont pourtant eu l'intelligence d'instituer des comportements sociaux qui les prémunissaient de ce défaut. Dans certaines sociètés anciennes, archaïques même, le prestige et l'honneur, parfois même le pouvoir, n'étaient acquis qu'à proportion de la capacité de donner. De là vient que les riches avaient plus que les autres l'obligation et les moyens de la pratiquer, et de la pratiquer avec ostentation. Ce n'est pas que les hommes d'aujourd'hui soient devenus plus égoïstes - car enfin la recherche du prestige social est elle aussi "égoîste" ; il en est simplement que nos valeurs sont plus étriquées et elles ne favorisent certainement pas ce qu'il y a de grandeur dans la dépense.

    samedi 4 septembre 2010

    Blog

    Je vous recommande d'aller visiter l'excellent blog de Pascal Coulon, sur lequel figure des articles clairs et fort intéressants (en particulier sur John Rawls) :

  • http://fraterphilo.over-blog.com