On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

mardi 16 février 2010

Violence à l'école (1)

Selon une idée intuitive assez généralement admise, des sanctions, éventuellement pénales,sévères sont mieux à même de prémunir les comportements violents qu'une politique s'efforçant d'aider l'adolescent à développer des stratégies lui permettant, lorsque cela est encore possible, de rester lier ou de se relier, de façon positive, avec sa famille, son école et la société. Bien que la réponse « musclée » soit la plus facile à adopter – surtout lorsqu'elle nourrit une rhétorique de l'autorité et de la « tolérance zéro » – en réalité, des décennies de recherche montrent que c'est surtout une politique scolaire d'attention et d'aide aux plus défavorisés et aux plus vulnérables qui peut, à terme, réduire les conduites juvéniles antisociales. Or une pareille approche n'est nullement incompatible, bien au contraire, avec l'apprentissage des règles sociales et le respect de l'autorité, en sorte que rien ne justifie qu'on la taxe de « laxiste ». Ce point mérite d'emblée d'être souligné afin d'éviter tout malentendu ou équivoque.
Un comportement antisocial est décrit comme la violation répétée des normes sociales de comportement en vigueur, « incluant généralement agressions, vandalisme, non respect des règles, défi à l'égard de l'autorité des adultes et violation des normes sociales de la société.» Il ne saurait être question d'exposer ici avec un peu de détails les nombreux facteurs externes (familiaux, économiques, sociaux, également ceux liés aux établissements scolaires) et internes (difficultés d'apprentissage, désordres émotionnels et comportementaux, etc.) des conduites « antisociales » agressives que les chercheurs ont dégagés.
Le point important qu'il convient de retenir, c'est la relation dynamique qui existe entre l'individu et l'ensemble de ces facteurs, lesquels interagissent également les uns avec les autres, pour former à un moment t le « caractère » d'un individu particulier, c'est-à-dire tout à la fois l'état de développement de ses capacités affectives, morales et intellectuelles, les valeurs et principes auxquels il adhère, et les conduites qui en découlent. Or ce « caractère », pris à un moment t, ne peut être compris dans ce qu'il est et dans ses actes, seraient-ils délinquants ou criminels, qu'à partir du moment où il est envisagé dans la totalité unifiée de l'existence qui est la sienne, c'est-à-dire dans la constance d'une certaine manière d'être, laquelle inclut l'adhésion à un ensemble de croyances et de valeurs L'idée qu'un individu puisse se changer librement, volontairement, lui-même – ses opinions et les passions qui le font agir - dès lors qu'il y serait contraint par les représentants de l'autorité, est encore plus fausse et vouée à l'échec lorsqu'elle s'adresse à un enfant ou à un adolescent en formation que lorsque ce discours est servi à un adulte. Dans ces cas, comme en bien d'autres, la volonté, ainsi que l'a fortement souligné Hume à l'encontre du postulat stoîcien - est d'abord impuissante à produire ce qu'on attend d'elle, lors même qu'elle le voudrait, tout simplement
parce que nous ne sommes pas totalement à disposition de nous-même, du moins pas au sens où notre caractère – l'être que nous sommes devenu avec le temps - pourrait se transformer immédiatement de fond en comble par une simple décision rationnelle de la volonté, serait-ce la nôtre. Nous pouvons certes viser à la progressive restauration d'une identité abîmée – en vue de l'ouvrir à un avenir meilleur -, mais il serait illusoire de croire et d'espérer qu'elle puisse être transformée sur le champ par un simple diktat ou par un commandement, quel qu'en soit l'auteur. Et cette restauration, qui porte sur la personnalité dans son ensemble autant que sur les opinions, passions, croyances et principes qui sont les siennes, ne peut se faire sans un patient travail sur soi qui demande souvent aide et médiations. C'est là la limite que rencontrent inévitablement les pratiques pédagogiques qui obéissent à une temporalité (relativement) courte, et non à la difficile prise en charge de l'enfant dans la longue durée. Or il est notoire que les enseignants ne sont nullement formés à cette tâche.
Les difficultés que l'institution scolaire rencontre face à la violence des plus vulnérables est une conséquence inaperçue de l'idée de contrat sur laquelle elle repose plus ou moins implicitement.
Or le défaut principal des doctrines du contrat, c'est qu'elles n'admettent pour protagonistes que des individus déjà adaptés aux normes sociales et capables d'agir conformément à ce qu'elles exigent de chacun (comme sujets rationnels, responsables, autonomes, etc.) Or ce présupposé a des conséquences sacrificielles considérables envers ceux – certains élèves par exemple - qui ne sont pas en mesure ou qui refusent, pour des raisons conscientes ou non, de « jouer le jeu » et qui, dès
lors, ne peuvent que se trouvés exclus du système. N'y a-t-il pas quelque chose de profondément injuste à faire de cette capacité d'adaptation et de l'autonomie un préalable, et non une fin à viser quelles qu'en soient les difficultés et le prix sans doute élevé à payer ?
La suite est à venir...

9 commentaires:

Charlotte Bousquet a dit…

Pour rebondir sur ce que vous écrivez : un truc d'apprentissage qui fonctionne très bien - et met en place des cadres et des règles sans violence - c'est la danse de salon - l'academie Delaine, aux USA donne par le biais de l'apprentissage de danses à deux des structures, des notions de respect de l'autre et de confiance.
Autre chose : les enfants qui se trouvent en difficulté, par exemple parce que le père, la mère, les deux sont étrangers et eux, scolarisés en France perdent parfois complètement leurs repères... Ils sont trop rapidement considérés comme "psychotiques" ou "autistes" alors que le problème est qu'ils n'ont pas de bases soldies auxquelles se rraccrocher (et donc, mis au ban du scolaire,). Dans cette même logique on peut se demander si les problèmes connus par les banlieues ne sont pas aussi liés à une "stigmatisation hors cadres"

Anonyme a dit…

Bonjour,

L'idée que l'on n'est pas à disposition de soi-même me touche en profondeur. Vous l'aviez déjà évoqué lors d'un précédent billet sur l'école. Et là, une petite touche en plus avec un auteur en prime sur la volonté: Hume. Un livre à conseiller de lui sur ce thème ?
Merci de vos billets.
Marianne

michel terestchenko a dit…

Merci, Charlotte, de vos commentaires éclairants.
Marianne, il faudrait lire le Traité de la nature humaine. Je vous donnerai plus de références si vous le souhaitez. Je devrais peut-être éclairer un peu en quel sens il faut entendre cette idée que nous ne pas entièrement à "disposition" de nous-même.
A bientôt

Marianne a dit…

le Traité de la nature humaine de Hume: noté. Je vais le chercher et essayer de le lire. Je reconnais que la philosophie n'est pas ma tasse de thé, beaucoup de grands mots pour souvent préciser des notions qui ne m'intéressent pas. Mais là, cette notion "nous ne sommes pas à disposition de nous-même" ma parle au coeur. Et si vous souhaitez écrire plus sur le sujet, je vous lirais avec plaisir.
Merci, Marianne

Gwladys M. a dit…

J’aimerais rebondir sur les distinctions effectuées entre les facteurs externes et internes qui entrent en jeu dans des conduites dites antisociales car si ces distinctions sont nécessaires pour
tenter une meilleure approche compréhensive des comportements violents chez les individus, il est dans les faits impossible de les dissocier car les uns et les autres sont intimement liés. Autrement dit , dans ce contexte : pas d’enfants en grande difficulté scolaire sans désordre affectif , pas de désordre affectif sans désordre familial , désordre familial lui-même grevé par de lourdes difficultés économiques et sociales.
Aussi, je vous propose un petit détour pour penser le problème de la violence à l’école …


Comment peut -on rendre compte qu’un enfant de 6 ans ne se soit pas encore approprié les repères temporels « classiques » ? Concrètement, comment expliquer qu’il ne sait pas encore déterminer quel jour on est , qu’il ne distingue pas le matin de l’après-midi et qu’il n’a pas , ne serait-ce que la notion intuitive de périodicité hebdomadaire , alors même que ces notions ont fait l’objet d’apprentissages réitérés pendant trois ans de maternelle ?

Tournons nous vers son temps vécu : pour cet enfant, dont la famille n’est rythmée ni par les exigences horaires liées au travail, ni même par des temps de repas définis où on se met à table ou encore par des temps ritualisés de coucher, le temps est un temps indistinct marqué uniquement par l’absence de repères. Les apprentissages auxquels il a participé de nombreuses fois n’ont fait écho à aucune expérience vécue et ne seront pas réinvestis dans une sorte « d’ évidence » quotidienne.

Seul le temps scolaire progressivement intégré sera pour lui un repère stable parce que récurrent. Seul le temps scolaire pourra participer de sa structuration temporelle.
Alors, nécessairement, cet apprentissage du temps prendra plus de temps chez cet enfant que chez un autre – et a fortiori d’autres apprentissages tels la compréhension de la chronologie d’un récit ou encore la pratique langagière orale et écrite des temps verbaux.

Ce problème de nature cognitive nous emmène loin de la problématique de la violence à l’école ? Pas si sûr.

Allons jusqu’au bout des conséquences de cette désocialisation familiale : le milieu familial qui ne connaît aucune obligation sociale peut aller jusqu’au refus de se soumettre au temps scolaire , autrement dit faire fi de l’heure du coucher de ses enfants et négliger l’heure du lever .
Certains enfants – plus ou moins convaincus par habitude qu’ils doivent aller à l’école - se trouvent dans la situation de se débrouiller seuls pour se lever, se vêtir avec ce qu’ils trouvent (l’entraide fraternelle est souvent de mise !) pour venir à l’école chaque matin . Ces enfants se font violence dès l’acte inaugural du lever pour se soumettre à cette obligation - pour eux si énigmatique - de l’école.
Si l’expérience montre qu’ à l’école primaire, cette obligation est vécue positivement pour ces enfants « défavorisés » comme une parenthèse chaleureuse et confiante , elle est rapidement perçue pour certains dès l’entrée du collège – voire dès le CM - comme une privation de liberté et – comble de l’inversion des valeurs républicaines - comme une injustice sociale puisque « les autres » - parents et grands frères- font l’expérience d’une pleine liberté d’action – ou devrait- t’on dire d’inaction. Dès ce moment , la contrainte sociale qui s’impose à ces pré-adolescents, incarnée dans et par l’institution scolaire et ses règles- ne serait ce que celles relatives au temps- est ressentie comme leur faisant violence...

Gwladys M. a dit…

...suite

Le premier ressentiment envers cette autorité à laquelle ils ne reconnaissent aucune légitimité vient de naître et avec lui tout son possible cortège de comportements plus ou moins violents selon leur manifestation, mais tous à caractère anti-institutionnel ( perturbation des cours , mise en dérision de tout représentant de l’institution scolaire , dégradations, absentéisme ).

L’inversion des valeurs qui est ainsi opérée ne peut que nous choquer, mais le processus dans lequel elle s’origine et qui est très largement passé sous silence n’est-il pas moins choquant ?

Tant que le politique restera délibérément sourd et aveugle aux causes sociales et aux responsabilités familiales de ce type de violence, toutes les actions soit disant préventives – c'est-à-dire sécuritaires - puis punitives qui sont mises en place au coup par coup seront aussi dérisoires que des pansements appliqués sur un grand brûlé et risquent d’avoir des conséquences aussi funestes.

Du point de vue du système éducatif , certaines questions dérangeantes sont passées elles aussi sous silence . Pourquoi y a-t-il une telle rupture de comportements entre le primaire et le collège ? Pourquoi certains élèves qui sont pressentis par les enseignants comme sensibles à ce type de violence -déjà là , en latence - la déclarent -ils en acte dès l’entrée au collège ? Faut-il être assez naïf pour n’y voir qu’un simple effet de l’âge pré-adolescent sans jamais porter son regard vers le collège dans son fonctionnement et son organisation ?
Que ressentent des collégiens qui errent dans les couloirs ou à l’extérieur de l’enceinte scolaire dès qu’ils ont le moindre « trou » dans leur emploi du temps si ce n’est leur propre ennui? Se demande-t- on comment les collégiens qui sont invités à commencer fréquemment leur journée à 9 h ou 10 heures se représentent réellement le collège au-delà de leurs premières déclarations désinvoltes du type « C’est cool , le collège » ?

Autre sujet brûlant : celui de la pédagogie pratiquée.
Si les difficultés rencontrées sur le terrain , conjuguées aux recherches récentes en didactiques, ont considérablement fait évoluer les pratiques pédagogiques de l’école primaire et ont engagé les enseignants dans une dynamique positive faite de détermination, de créativité et d’attitude de bienveillance envers chaque élève - dynamique qui a su prendre ses distances avec le fatalisme et les discours sur le déterminisme social - cela n’est malheureusement pas la règle dans le secondaire.
Quelle motivation pour un collégien qui participe à un cours de chimie réaliser des expériences alors même que le compte rendu d’expérience entièrement rédigé vient de lui être distribué sur polycopié ?
Quelle motivation pour ce même collégien à passer tout un cours de grammaire à classifier des types de phrases sans que jamais les enjeux de l’utilisation de l’une ou de l’autre n’aient été envisagés dans une vraie relation de communication ?

Anecdotes, sans doute, mais qui pourraient être multipliées à l’envie et qui ne font que témoigner de l’absurdité de certains enseignements et de l’ennui qu’ils dispensent – sans parler du défaut d’apprentissages qui en résulte.
Quelle ironie envers des adolescents fragiles dont le vécu personnel se conjugue souvent à l’absurde , qui désespèrent de trouver du sens à l’existence et qui oscillent finalement entre violence et résignation !

Gwladys M. a dit…

suite...

Moins de violence à l’école ?

Alors osons un peu plus d’honnêteté politique, posons les vrais problèmes sur la table, comme celui de la difficulté mais peut-être aussi de la nécessité d’influer sur la sphère privée que représente la famille. Ayons le courage de dire que l’objectif ultime de l’Education nationale est de fabriquer des individus compétents soumis à une logique de l’évaluation et que de fait, ce qui ne rentre pas dans le cadre de cette logique de l’efficacité sort du cadre de l’orientation de l’Education Nationale qui a été choisie. L’enfermement politique dans un tel modèle de rentabilité éducative pensée à court terme exclut toute autre visée éducative centrée sur des individus en devenir et toute action de fond qui permettrait de réinstaurer un minimum de confiance en l’institution scolaire.

Enfin- en tant que professionnels de l’éducation - prenons nos responsabilités et interrogeons-nous un peu plus sur nos pratiques pédagogiques afin que celles -ci ne viennent pas surajouter du non sens à des vies si souvent marquées par le sentiment d’absurdité.

Hector1995 a dit…

Le problème, c'est qu'on a tendance à mettre les élèves dans des cases. De fait, on a tendance à penser que les sanctions sont mieux à même de prémunir les comportements violents. Les chercheurs en sciences sociales proposent des solutions qui visent à responsabiliser l'élève et à le rendre plus serein dans son environnement d'apprentissage. Cependant, il ne faut pas oublier qu'il y a un écart entre la théorie et les pratiques.

Léa Tavernier a dit…

On définit généralement la violence comme un abus de force de la part d’une personne sur une autre. Dans cet article, plusieurs points m’ont interpellé : à commencer par le fait que le comportement antisocial soit considéré automatiquement comme un comportement d’emblée réprimandable. Un comportement antisocial est un comportement contraire à la société, à l’ordre social c’est-à-dire à un ensemble de règles établies par l’autorité seulement peut-on affirmer que ces règles sont toujours justes et légitimes ? Les normes de la société sont prises pour absolues et comme référence en matière de comportement, bien entendu elles ont pour fin ultime la paix et d’éviter la discordance au sein de l’établissement mais ne peut-on pas parfois envisager une remise en question vis-à-vis de celles-ci ? Je veux prendre le cas par exemple d’un élève qui répondrait à son professeur, celui-ci pourrait se voir réprimandé car il ne se serait pas soumis à l’autorité, l’emploi de “défi à l’égard de l’autorité” dans l’article me pose problème en ce sens que cela admet que l’autorité a toujours le dernier mot et toujours raison et est conçu communément comme un comportement insolent. Pour moi, remettre en question l’autorité peut se concevoir comme une forme de maturité qui incite l’élève à avoir un regard critique concernant les règles établies. Je pense aussi que le terme “restaurer” le caractère de l’individu; ici l’élève, s’apparenterait à vouloir “rogner” celui-ci, il doit correspondre à un idéal de la société et le changer ou “restaurer” son caractère reviendrait à nier sa singularité. Peut-être que le mot semble abusif mais je conçois parfois le système scolaire comme un formatage d’élève pour correspondre à ce que la société attend et ce dès le plus jeune âge dans les écoles maternelles avec l’interdiction de se mouvoir au sein de la classe sans en demander l’autorisation Selon moi, et c’est rarement le cas malheureusement mais le meilleur moyen serait de prendre le temps de discuter, de donner la parole à l’élève afin de nouer un lien avec le professeur pour nouer une relation de confiance, bien sûr je conçois que ma pensée est certainement peu réaliste étant donné les effectifs dans les classes car il faudrait beaucoup de temps pour s’entretenir avec tous les élèves adoptant un comportement antisocial mais il serait éventuellement possible de mettre en place des dispositifs d’écoute à disposition (par exemple plus de psychologues) dans les établissements. Autre remarque importante, nous constatons et ceci est un fait véridique comme j’ai pû le constater de manière factice que dès lors qu’un élève fait preuve de violence une fois, il se retrouve très vite catégorisé de la part des professeurs, surveillants et ainsi mis de côté, délaissé ne lui laissant par là aucune chance de le voir autrement. Je veux dire par là que la caractérisation automatique de tel élève étant considéré violent ne lui laisse pas la possibilité de “corriger” son image, le préjugé “violent” à son égard reste fixe l’excluant, il est alors par la suite mis à l’écart exclu. Notons que pour Foucault l’école est un espace d’enfermement et de normalisation qui tend à contrôler les enfants par le système de la punition, moyen qui je pense n’a pas toujours fait ses preuves avouons-le. La discipline tend à faire des individus “normalisés” rentrant dans les cases, pour plus de renseignements concernant sa conception je renvoie à son cours au Collège de France , Les Anormaux. Au final ne pourrait-on se demander si la violence se trouve du côté des institutions ?