On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

samedi 26 décembre 2009

L'institution bienveillante

D'une institution, dans une société démocratique, nous attendons qu'elle soit équitable et juste, qu'elle respecte les droits des individus sans considération de personnes selon le principe d'égalité et d'impartialité qui est au coeur de notre tradition. On exigera également, mais dans un deuxième temps seulement, qu'elle soit efficace. Ce qui signifie pas qu'elle doive répondre à une logique de productivité économique - bien que celle-ci soit de plus en plus à l'oeuvre dans le monde de la santé, de la justice ou de l'éducation - mais que l'argent public ne soit pas dépensé de façon dispendieuse et irrationnelle. Mais attend-on d'une institution qu'elle soit "bienveillante" ? Il n'existe pas vraiment de réflexion sur cette notion d'institution bienveillante qui paraît bien étrange.
La bienveillance est une disposition attentive au bien des autres qui procède d'un sentiment, quoiqu'elle ne soit pas nécessairement uniquement de nature "sentimentale" ou affective : rien n'interdit, en effet, d'introduire dans cette disposition un élément de rationalité, un jugement réfléchi sur ce qui convient à chacun en fonction de sa situation propre, tel que le formulerait un "spectateur impartial", pour reprendre une figure empruntée à Adam Smith. Mais, d'une manière générale, telle que nous l'entendons, la bienveillance est une affaire de personnes qui relève de leurs relations privées. En quel sens pourrait-on en faire un principe d'obligation de l'action publique applicable à ses agents ?
Un exemple suffira pourtant à nous faire comprendre en quoi cette disposition est à la fois nécessaire et bien réelle. L'exercice de la justice consiste à appliquer la loi. Mais les juges ne sont-ils pas aussi amenés à prendre en considération ce qu'on appelle les circonstances atténuantes ? Qui a fait quoi en telle situation particulière et pour quelles raisons ? Cette attention au meurtrier par exemple, à son histoire, son passé, son profil psychologique, son caractère, relève bel et bien de la bienveillance et, contrairement à ce que l'on pense, elle n'a rien nécessairement de "laxiste", pas plus qu'elle sombre dans le sentimentalisme larmoyant.
En réalité, une institution juste conjugue à la fois le respect des droits et des devoirs qui sont applicables à tous de façon impartiale et aveugle - telle est l'image traditionnelle de la justice aux yeux bandés - et une attention particulière - bienveillante précisément - à la situation de chacun. Que voulons-èdire au fond sinon qu'une institution n'est juste, dans ses pratiques et la politique publique qui l'anime, qu'à condition de conjuguer un mixte de règles générales et de compassion particulière, c'est-à-dire d'impartialité et de partialité...

5 commentaires:

Samuel a dit…

Bonjour Michel,

Je dis cela rapidement et je me lance un peu, mais j'ai pour ma part l'impression que le juste mélange d'impartialité et de partialité est le propre de la justice (idéale sans doute), en dehors de toute bienveillance dont elle ne semble s'occuper que très occasionnellement (si tant est que l'occasion ait déjà transformé quelque juge en bon larron). Il est vrai qu'en théorie l'institution judiciaire n'a pas cette prétention.
Je trouve que le fait que la justice prenne en considération les circonstances particulières et l'expérience propre aux individus en plus des faits objectifs devrait être la moindre des choses. Mais cela, ne signifie pas pour moi qu'elle y gagnerait pour autant en bienveillance (qui me semble relever de l'intention) mais seulement en honnêteté en quelque sorte.
Parvenir à ce stade serait déjà tout un programme... mais la justice bienveillante devrait sans doute aller encore au-delà.
On peut être juste, il me semble, en s'intéressant à ce qui a fait le passé d'un individu, mais ne point s'intéresser pour autant à ce qui fera son avenir, c'est à dire sans se préoccuper du but profond de la décision de justice. Or, ce que devrait rechercher une justice juste et bienveillante, c'est non point seulement les raisons du mal qui la mènerait à une décision équilibrée, mais encore les moyens de le guérir. Mais je m'arrête là car je n'y connais pas grand chose et la question de la liberté pointe déjà son nez. Je voulais laisser un commentaire pour te saluer. Sujet intéressant en tout cas.

michel terestchenko a dit…

Cher Samuel,

Je suis d'accord avec vous, sauf que le souci de l'avenir est plus spécifiquement l'affaire de l'institution carcérale. Le juge peut décider, par exemple, une obligation de soin, mais qu'en est-il si les moyens manquent et que rien n'est fait en réalité ? D'une manière générale, le jugement porte sur une action passée, le crime ou le délit qui a eu lieu - du moins dont le prévenu est accusé - non sur l'existence à venir de la personne, quoique cette considération ne soit pas non plus totalement absente, vous avez raison.

Yoann a dit…

Les institutions sociales peuvent-elles être bienveillantes ?


I. Une problématique actuelle

Macrosocial
1. Bienveillance: continuité et aboutissement de l'efficace et du "bon fonctionnement" des institutions
2. Dépasser la société-machine qui conçoit la justice sociale comme rationnelle, froide, sűre et prévisible (approche solidement théorisée J. Rawls). Tendre vers une harmonie sociale qui se régénčre en permanence.

Microsocial
1. Toute institution bienveillante n'est que le fruit de la bienveillance des hommes qui la constituent et agissent en son nom. d'où la nécessité d'une éthique individuelle assurée.
2. Le lien et la confiance des hommes les uns envers les autres deviennent l'enjeux primordial. Des sphères de la vie sociale comme l'éducation révèlent toute leur importance.

Yoann a dit…

II. Une problématique archaïque

Un modèle du passé...
1. C'est l'idée que les "institutions", donc l'État à travers ses diverses composantes, sont les axes déterminants de la société. Il existe bien sűr des "institutions" non-étatique, mais souligner leur caractère "institutionnel" focalise l'attention sur leur dimension jurique et leur rapport au pouvoir politique.
2. Héritée du libéralisme politique, cette vision tend à considérer à la base les hommes comme des citoyens acteurs de la vie politique et au sommet la société comme un ensemble vaste et divers. Au centre se tient le pouvoir politique, dont les divers composantes ne sont pas nécessairement "séparées" (interprétation abusive), mais équilibrées entre-elles (elles compensent leurs imperfections). Ce sont les 3 dimensions législative, exécutive et judiciaire (chez Montesquieu).

...Qui doit évoluer
1. Avec l'avènement des pouvoirs de l'économie et de l'industrie d'une part, des médias et de l'opinion publique d'autre part, la vie des hommes en société peut âtre saisie à une échelle plus vaste, qui conçoit l'acteur social comme un être humain global. A la base nous trouvons l'environnement (la planàte, notre origine naturelle), et au sommet les lois et les valeurs qui donnent sens à notre monde et constituent la destination des hommes (aspiration ultime). Au centre se tient la société. L'État, désormais contrebalancé voire dominé par les intérêts économiques (mais aussi de puissants mouvements d'idées).
2. L'enjeux n'est donc plus l'équilibre entre les pouvoirs internes de l'État, mais celui entre les différentes dimensions sociales, que l'on peut schématiser par: État, Marché, Société civile.

Yoann a dit…

III. Comment faire place à la bienveillance au sein de la société ?

La bienveillance est-elle encore possible ?
1. Oui, si l'on considère qu'elle passe fondamentalement par la confiance sociale, qui implique un juste rapport de l'État aux autres sphères sociales, et des individus à leur prochain. Cette exigence est rappelée par la devise Liberté, Égalité, Fraternité.
2. Et si l'on reste conscient du caractère vivant, donc évolutif et changeant, de la société. Cela implique d'être toujours prêt à redéfinir ce rapport pour l'adapter à la réalité et le perfectionner.

Comment y parvenir ?
1. D'une part, le défi macrosocial nous pousse à considérer le rapport entre l'État et toute autre sphère sociale en plaçant le pouvoir politique à sa juste place : celle de l'État de droit. Seule cette préoccupation, si elle est prioritaire dans chaque action et chaque tâche qui relève qui animent les institutions, permettra de concourir à l'harmonie sociale.
2. D'autre part, le défi humain consiste à respecter la liberté de chacun tout en agissant toujours de manière libre et responsable. L'ancienne phrase libérale "ma liberté s'arrête là où commence celle des autres" peut être remplacée par un appel au vivre-ensemble: "Ma liberté commence là où commence celle des autres".

Finalement : Un État de droit qui vigilant à l'évolution sociale et une éthique individuelle de la liberté constituent deux pistes complémentaires pour permettre une société bienveillante. Le principe universel ne s'oppose plus à l'action individuelle, et l'institution, quelle qu'elle soit, intègre en elle-même les préoccupations d'écoute et d'humanité des simples citoyens.