On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

mercredi 9 décembre 2009

Fragilité, vulnérabilité

Quelle est la différence entre la fragilité et la vulnérabilité ?
Un verre est fragile, une personne peut l'être également, et on entend alors désigner un état d'instabilité, psychologique ou physique : une santé fragile. Mais la vulnérabilité est de nature toute différente. Ce qui est ainsi désigné, c'est le fait d'être exposé à ce qui ne dépend pas de soi, qui est hors de notre contrôle et de notre maîtrise. Mais n'est-ce pas la condition même de l'homme dans sa positivité dès lors qu'il s'ouvre au monde et aux autres ? Etrangement, la tradition philosophique ignore, très largement, cette notion qui est tout simplement absente, hormis chez Lévinas et Ricoeur. Comment pouvait-il en être autrement s'il s'agit pour tant de philosophes - de Platon à Kant, en passant par les Stoïciens ou Descartes - de nous mettre à l'abri, de nous apprendre la voie de l'autosuffisance, de la non dépendance, de la prééminence de la raison sur les émotions et les sentiments, autrement dit de nous apprendre à être le moins vulnérable possible ?
Mais sous l'unité du concept se déploient des réalités humaines fort différentes. La vulnérabilité de l'enfant ou de la personne âgée tient à l'état de dépendance dans lequel ils sont. La vulnérabilité aux circonstances désigne, négativement, la propension des individus à s'abandonner à une autorité destructrice ou à une institution aliénante, la capacité à s'absenter à soi, dont j'ai parlé dans le Vernis fragile. Tout autre encore est le fait d'être exposé aux coups de sort, qui est au coeur de la tragédie grecque, ou encore, plus généralement, de s'exposer à l'échec, à la meurtrissure, du fait de s'engager de quelque manière que ce soit. Peut-être est-ce chez Kierkegaard qu'il faudrait se tourner. Etre vulnérable, c'est s'ouvrir, s'exposer à la "blessure de la possibilité". Ainsi dans l'amour.

2 commentaires:

Alexis a dit…

Notion fondamentale dans la philosophie de Nietzsche, à plus forte raison dans 'Ecce Homo' lorsqu'il s'oppose à Schopenhauer, philosophe pessimiste qui refuse la vie parce qu'elle est souffrance, devenir et absurdité du vouloir-vivre, tandis que lui adopte la posture du philosophe tragique en prétendant affirmer et dire oui à la vie bien qu'elle soit et parce qu'elle elle tragique, destructrice, contradictoire, "terrible et équivoque", en d'autre terme ... Bien qu'elle soit et parce que la vulnérabilité fait partie inhérante de la vie tragique, de l'affirmation ultime du 'dire-oui' à la vie.

Salutations

michel terestchenko a dit…

Merci de cette référence, Alexis.