On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

jeudi 8 octobre 2009

Coopération en entreprise

Un large extrait de la recension élogieuse du dernier livre du sociologue Norbert Alter, Donner et prendre. La coopération en entreprise (publié aux éditions La Découverte) par Jean Bastien, critique à la revue Nonfiction.fr :
"Il n’y a pas de coordination sans coopération, ou très limitée, et n’y a pas de coopération sans sentiment, explique Norbert Alter : “les règles, pour être efficaces, supposent que les salariés les investissent de leur être, de leurs engagements affectifs et moraux réciproques, de leur conception et de leur expérience du rapport aux autres.” La théorie du don/contre don permet d’en rendre compte, notamment en restituant la dimension affective des échanges sociaux, où entrent la fierté, la sympathie, la gratitude, etc. On sait que cette théorie suppose trois actions indissociables : donner, recevoir et rendre, qui ensemble créent des liens, qui eux-mêmes permettent la circulation des biens. L’auteur montre sur des exemples et en donnant largement la parole aux salariés qu’il a rencontrés que cette grille, élaborée à l’origine pour expliquer le fonctionnement de sociétés primitives, permet également d’analyser les relations de travail du monde contemporain. Donner est un acte volontaire qui n’est ni obligatoire, ni dicté par la coutume, et qui a une finalité non directement économique. Il suppose un sacrifice (employé ici au sens commun) ou encore une dépense. Le don s’accompagne d’une dramatisation ou d’un soulignement du geste de la part du donateur, auquel répond normalement une manifestation de sympathie de la part du donataire, car le don touche et produit une émotion, explique l’auteur. Enfin, “la gratitude engage le donataire pour une durée illimitée, sans que soient précisés la nature des prestations à fournir en contrepartie du don reçu et le délai dans lequel elles doivent l’être.
(...)
L’entreprise tire un grand parti de ces comportements, qui viennent notamment pallier les insuffisances de l’organisation, tout en refusant le plus souvent d’en être redevable aux salariés. Pour cela, elle évite soigneusement de les reconnaître comme des dons et a fortiori de les célébrer (y compris en décourageant les fêtes de toutes sortes que les salariés organisaient fréquemment, il n’y a encore pas si longtemps), allant parfois jusqu’à leur dénier complètement ce statut, même si elle n’imagine pas s’en passer. Alter explique que le management se divise entre un management par l’amont, fondé sur des principes de standardisation et de rationalisation et des critères d’efficacité étroits, et un management par l’aval, qui tolère “des arrangements, l’existence de réseaux et même la transgression des procédures dans la mesure où ces actions permettent de bien travailler et d’être plus efficace qu’en respectant à la lettre les règles de l’organisation”. Confrontés à ce qu’ils perçoivent comme de l’ingratitude, les salariés comptent ou raisonnent, de plus en plus, leur engagement (en prenant plus de distance par rapport à des formes d’adhésion qui étaient autrefois peu ou pas du tout questionnées). Selon leur situation et leur personnalité, ils continuent à donner ou veillent, au contraire, à l’équilibre de leurs échanges. Et ils ciblent l’ensemble de leurs collègues et la collectivité en général ou limitent, à l’opposé, leurs échanges à un petit nombre d’individus, explique Alter, qui distingue ainsi quatre attitudes-types : le don affinitaire, la tentation de l’égoïsme, le don altruiste et la logique nostalgique. Ce qui n’est pas sans poser un problème : les entreprises se privent ainsi, de plus en plus, du bénéfice de tous ces dons, qu’elles mésestiment, en poursuivant, circonstance aggravante, une chimère de mobilisation efficace des salariés, à laquelle elles restent attachées par principe plus que par raison, explique l’auteur. Il va falloir un peu de temps pour assimiler cela, y réfléchir, et essayer d’en tirer les conséquences. Le lecteur pressé pourra lire seulement la conclusion, qui résume magnifiquement l’ensemble du livre."
L'intégralité de l'article peut être consulté sur le site de la revue :
  • www.nonfiction.fr
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