On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

lundi 29 juin 2009

Le refus du tragique

On le sait : le présupposé de la commensurabilité des biens et des plaisirs est au principe de la philosophie utilitariste, chez Bentham tout particulièrement. Mais on oublie trop souvent - et Martha Nussbaum a raison de le rappeler (Alain Caillé insiste également sur cette filiation peu connue) - qu'il est déjà présent dans la pensée platonicienne, dans le Protagoras notamment. C'est là, chez Platon, une arme stratégique en vue de réfuter l'affirmation que les biens sont pluriels et que tout choix doit assumer un conflit des valeurs rationnellement indécidable. Telle affirmation - on songe bien sûr à Weber - est au coeur de la pensée tragique que Socrate affronte et repousse.
Que le coeur de la mathématique morale utilitariste nous ramène à Platon révèle un trait commun aux deux penseurs : le refus du tragique dont on comprend dès lors qu'il n'est pas un trait aussi moderne qu'on le pense habituellement. Cela étant dit, la grande différence est que Bentham ne s'aventure pas dans la grande épopée métaphysique de cette ontologie du Bien qui est à l'aube de notre tradition philosophique.
Dans ce mouvement de la réduction du tragique, le christianisme jouera également un rôle décisif. Car, enfin, qu'est-ce donc que la Providence sinon la négation de la croyance que les dieux sont en guerre ?

7 commentaires:

laurence harang a dit…

Bonjour,

Je suis d'accord avec vous. Platon semble condamner le plaisir par principe. Dans "Le Protagoras", l'expression "être vaincu par le plaisir" est examinée; et Socrate montre les contradictions de la thèse "plaisir=bien".
C'est en ce sens que la doctrine de Bentham s'attaque aux conséquences d'une action non à son principe (conception absolue du bien).
Mais je vous l'accorde: on ne peut être "complètement" utilitariste...

Merci d'aborder de tels thèmes sur votre blog.

Michel Terestchenko a dit…

Merci, chère Laurence, de m'avoir fait connaître, sur votre blog, le livre de Joel Janiaud que je ne connaissais pas et qui aborde des questions sur lesquelles j'ai également un peu parlé.
Merci également de votre fidélité.

laurence harang a dit…

Bonjour,

Oui,le livre est d'une grande qualité mais est resté inaperçu en France d'où la nécessité de le faire connaître.
Sur ma page personnelle, je viens d'ajouter des entretiens réalisés avec PE Dauzat, JJ Rosat.

J'attends vos analyses à propos de M. Nussbaum (je vais commencer un travail sur l'éthique du "care").

Bien cordialement

michel terestchenko a dit…

PE Dauzat est une personnalité remarquable avec laquelle j'ai beaucoup discuté. Je suis heureux que vous ayez songé à parler de lui...

laurence harang a dit…

C'est une personne d'une grande gentillesse et d'une rare délicatesse. Il est vraiment agréable de le lire et de l'écouter parler.

Bien cordialement

Anonyme a dit…

Bonjour Mr Terestchenko,
J'ai lu votre livre "Du bon usage de la torture" avec un vif plaisir, ainsi que ce le fut, déjà, avec votre "Un si fragile vernis d'humanité".
L'un de vos paragraphe ne cesse de m'interloquer ; il s'agit de celui où vous évoquer la technique de torture psychologique mise au point par la CIA : isolement et stratégie de régression. (pardonnez-moi pour l'imprécision de mon propos, je n'ai hélas pas votre livre en main). Pensez-vous qu'il serait exagéré de voir dans certains écrits de Michel Onfray quelque chose de cette ordre ? Lorsqu'il se veut prouver la faiblesse de notre volonté - l'impossibilité de tout volontarisme donc -, il n'est pas rare qu'il défende corollairement le bien-fondé de l'isolement et le retour à une attitude enfantine, égoïste.
Je suis conscient de ne pas avoir posté cette question au bon endroit. Si vous préférez me répondre directement à mon courriel, sans publier celle-ci, je trouverai ceci logique. Je vous remercie beaucoup.
laurent.hedoin@univ-reims.fr

michel terestchenko a dit…

Cher Laurent,

Merci de votre message et de vos propos aimables. Je n'ai pas lu Michel Onfray sauf, pour une occasion précise, sa petite histoire revisitée de la philo. Par contre, je l'ai souvent entendu s'exprimer. Je reconnais sa culture, mais beaucoup moins ses intentions qui me paraissent relever d'une sorte d'inquisition. Par conséquent, il m'est difficile de me prononcer sur cet aspect de sa "pensée" que vous relevez.