On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

vendredi 9 janvier 2009

Projet de suppression du juge d'instruction

L'avocat, François Saint-Pierre, auteur du Guide de la défense pénale (Dalloz, 2007), répond sur le site 20minutes.fr aux questions des internautes sur le projet de suppression du juge d'instruction. Quelques extraits, les plus saillants, de ces entretiens qui mettent en évidence les points essentiels du débat :
"Chaque fois que l’on a parlé de la suppression du juge d’instruction, depuis vingt ans, ce même argument nous a été objecté: les juges d’instruction seraient les seuls magistrats purs et honnêtes, indépendants et travailleurs, devant lutter contre les méchants procureurs, aux ordres du pouvoir. Permettez-moi de vous dire que les choses sont plus subtiles que cela! C’est vrai, je le redis encore, que la suppression du juge d’instruction implique une nouvelle définition du statut des procureurs de la République et de l’ensemble des magistrats du parquet. C’est une nécessité. Je souligne une fois encore le fait que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà averti la France, l’été dernier, en jugeant qu’en l’état des choses, le procureur est trop dépendant du gouvernement et ne peut donc pas être considéré comme une autorité judiciaire. C’est dire ! Mais pour bien les connaître, je peux vous assurer que les magistrats du parquet, en France, sont de vrais magistrats, animés d’une éthique de l’action publique et du droit des gens. Le procureur Eric de Montgolfier en est le plus bel exemple ! Et contrairement à ce que vous croyez, les juges d’instruction, qui pourtant étaient indépendants, n’est-ce pas, n’ont pas fait de leur indépendance un usage remarquable... Dans la plupart des affaires, leurs ordonnances de règlement, comme l’on dit, c’est-à-dire leurs conclusions finales, sont les copies conformes de celles des procureurs (les réquisitoires définitifs)! C’est cela qui a ruiné la fonction des juges d’instruction: rien, ou si peu, dans leur pratique, les distinguait des magistrats du ministère public... Et n’allez pas croire que les affaires politico-financières, des années 90 jusqu’à maintenant, aient été le signe de leur indépendance: c’est en accord avec le ministère public, que ces affaires ont toujours été menées. Et bien souvent, elles ont été instrumentalisées par le pouvoir politique, ce dont les juges d’instruction étaient bien conscients! Ne soyons pas naïf. Savez-vous ce qui assurerait aux magistrats du siège une authentique indépendance? La séparation de ces deux corps de la magistrature (comme l’a justement souligné Daniel Soulez Larivière dans la presse hier). Aujourd’hui, les carrières d’un magistrat du siège ou du parquet sont en tous points semblables, de l’Ecole de la magistrature à la retraite. Séparez les corps en deux, et les juges seront indépendants! C'est d'ailleurs le souhait qu'expriment ouvertement depuis plusieurs années maintenant de nombreux magistrats du siège, et non des moindres (...)
"Donc, si la fonction de juge d'instruction devait être supprimée, elle serait exercée par le procureur de la République. Et dès lors, je ne peux que me répéter: il sera essentiel que la loi organise des recours effectifs pour que la légalité des enquêtes qui seront menées par les parquets soit contrôlée par les cours d'appels d'une manière aussi sérieuse que l'ont été les procédures des juges d'instruction, au minimum. La garantie des libertés individuelles en France est ici en jeu (...)
On ne peut pas soutenir sérieusement que le juge d’instruction est en soi le gardien des libertés individuelles, et que sa suppression serait un grand danger pour la démocratie. Soyons sérieux. En revanche, si le juge d’instruction est supprimé du système judiciaire, c’est le procureur qui exercera ses pouvoirs à sa place. Et dans ce cas, deux conditions sont essentielles pour une bonne Justice: d’une part, un nouveau statut des magistrats du parquet, qui garantisse leur indépendance vis-à-vis du pourvoir politique dans la conduite des enquêtes; et d’autre part, et c’est essentiel, un renforcement considérable des droits de la défense, pour que l’avocat de la défense puisse jouer pleinement son rôle de contre-pouvoir. Sans ces deux conditions, cette réforme n’aurait aucun sens et serait vouée à l’échec."

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