On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

jeudi 27 novembre 2008

L'art et l'éducation à l'échec



On voudrait que l'art ne soit qu'une affaire de goût personnel dont il n'y a pas lieu de discuter, et l'idée du beau, une vieillerie platonicienne, puisque du laid, de l'abject ou de l'ignoble on peut aussi faire une oeuvre. (C'est oublier au passage, que la multiplicité de l'être allait, pour Platon, de l'Idée à la boue ou au cheveu. Passons !) Car enfin, de ce qui fait qu'une oeuvre est ou non de l'art, on ne saurait avoir de critère, la modernité s'étant enfin délivrée des canons de l'esthétique et de la morale traditionnelles. Mais quel grand artiste, je vous le demande, les a jamais respectés ? Et nous voici condamnés à tout prendre pour argent comptant, pourvu que le travail soit présenté comme "oeuvre". Qu'importe le faire, si tout tient dans le dire ? Et ce à quoi cet édit nous exhorte, c'est à nous taire, non à nous ouvrir à la compréhension critique d'une expérience qui aurait élargi notre vision du monde.
Ce petit discours ordinaire nous prend au piège de subjectivités immédiates où chacun renvoie à l'autre le droit irrévocable de "penser" et de juger, en matière d'art, comme il l'entend. Il n'est pas de professeur de philosophie qui n'éprouve quelque difficulté à expliquer à ses élèves que le jugement esthétique, pour subjectif qu'il soit, est pourtant d'une toute autre nature. En vérité, le goût esthétique se forme et il se forme au patient contact avec le travail des grands artistes qui, aussi déroutant ait-il pu paraître à leurs contemporains et peut-être à nous aussi, est une invitation à approfondir l'exigence dont il provient.
Il y a, de Rembrandt à Bacon, une esthétique de la laideur, cela est vrai. Mais faut-il en conclure qu'il n'est pas de différence entre "Le boeuf écorché" du Maître hollandais, cette figure de la crucifixion animale dont le réalisme heurta les hommes de l'époque, et certaines "productions" modernes que les galeries ne répugnent pas à exposer (je remercie le lecteur qui me les a envoyées) ? Quand la facilité se conjugue avec l'outrecuidance, il ne reste plus qu'à se taire, en effet.
Plus qu'à aucune autre époque - il n'est cependant rien là qui soit tout à fait nouveau -, la question de la nature de l'oeuvre d'art authentique se pose avec une difficulté singulière. Du moins peut-on tenir pour acquis que l'éthique de la création - et, de fait, malgré qu'en ait le discours nihiliste ambiant, il en existe bien une -, commande au créateur véritable de se livrer avec humilité aux exigences, souvent désespérantes, de l'oeuvre à accomplir. Quel que soit son talent, c'est d'abord un métier qui s'apprend où la victoire de l'instant est une défaite qui appelle à être surmontée. Le grand artiste a en commun avec le saint de savoir qu'il vient, à chaque fois, à peine de commencer et que la mort le surprendra en plein échec, là où le médiocre et le vulgaire, complaisants au goût du jour et infatués de leur talent - ils n'en sont pas toujours dénués -, se satisfont de leurs productions "culturelles", qui ne sont rien de plus : un "lieu commun sans valeur", comme dit Picasso.
Loin de moi l'intention ridicule de faire dans son ensemble une critique de l'art moderne qui a ses maîtres incontestables, pas plus que de contester le sens d'expériences qui explorent des voies nouvelles : c'est la tâche, aujourd'hui comme hier, de tout vrai artiste. Critiquer certaines dérives faciles de l'art contemporain est une autre manière de céder à la facilité, j'en conviens. Tout cela serait de peu d'intérêt, s'il ne s'agissait de rappeler que le métier d'artiste est toujours un humble apprentissage : le travail de l'oeuvre est, au bout du compte, une éducation à l'échec. Et c'est à cela que la "haute culture" a le mérite unique de nous préparer. De là vient que les grands artistes aient souvent été de grands mélancoliques. La raison n'a rien, on le comprend, de "psychologique". J'en donnerai bientôt un exemple proche de nous.

11 commentaires:

Charlotte Bousquet a dit…

C'est un thème assez délicat que vous abordez là. Le lapin de Kac étant le moins terrifiant des "expériences animales" faites au nom de l'art... Ou expériences tout court (cf. les SDF sous cloche). Le problème, c'est qu'avec les installations (et expérimentations) modernes, il n'y a pas nécessairement de volonté esthétique - disons que je ne suis pas fan de ce genre d'expérimentation - et je suis éthiquement et farouchement -opposée à tout ce qui touche au vivant, mais pour ce qui est du reste, je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous. Il y a dans certaines insallations et "expérimentations" quelque chose qui se dégage - qui est plus acte d'art qu'oeuvre d'art, peut-être...

michel terestchenko a dit…

Vous avez raison s'agissant des installations qui n'obéissent pas nécessairement à une "volonté esthétique", et je ne conteste pas qu'il s'en "dégage quelque chose" qui fait sens. Mais ce n'est pas de cela dont je parlais dans ce billet qui n'est pas très bon, non plus, je vous l'accorde.

Michel Terestchenko a dit…

J'ai donc assez sensiblement corrigé le billet d'hier...

Anonyme a dit…

C'est ce que je vois - et je suis assez d'accord avec vous - du coup. Et sur la difficulté d'enseigner le jugement esthétique (même si j'ai tendance à détester ce terme pour des raisons anti-kantiennes primaires), et sur la propension à l'autosatisfaction bouffie de vanité de certains "artistes" quel que soit l'art en question effectivement très éloignée de l'humilité, de la remise en cause permanente non pas nécessairement de son talent mais du sens peut-être (là, c'est peut-être moi qui suis très confuse).

Rossignol L a dit…

Il s'agit d'un extrait de ma "réflexion" sur l'art.

"(...)L'art se reconnaît par ses œuvres et ses œuvres sont des productions humaines.
L’art, du latin « Ars, artis » (qui signifie habileté, métier, connaissance technique) est une activité humaine dont le produit ou l'idée que l'on s'en fait consiste à arranger et lier entre eux différents éléments touchant aux sens, aux émotions ou à l’intellect. L'art est la création-invention, au niveau du mécanisme de la pensée et de l'imagination, d'une idée originale à contenu esthétique traduisible en effets perceptibles par nos sens. Il n’y a pas de définition de l’art qui soit universellement acceptée. En effet, les définitions de ce concept varient amplement selon les époques et les lieux. Ainsi, pour Marcel Mauss : « Un objet d'art, par définition, est l'objet reconnu comme tel par un groupe. » C'est pourquoi les productions et pratiques artistiques, ou plutôt les collections et ensembles de ces objets, peuvent être classés diversement selon les cultures, les auteurs et les institutions(...)"

Rossignol L a dit…

(...)Depuis la fin du xviiie siècle et jusqu'à ce jour, l'art englobe principalement les produits des « beaux arts » tels que la sculpture, la peinture, la musique, la danse et la poésie (et donc la littérature), auxquels on ajoute fréquemment la cuisine, le cinéma, la gravure, le théâtre, la photographie, la bande dessinée, la télévision, voire l'art numérique. La classification des arts n'est pas universelle.
En Europe, la conception de l'art comme activité autonome, comme production par des artistes d'objets que l'on s'accorde à trouver beaux suivant un jugement de goût, stimulants pour les sens ou producteurs d'une forme de connaissance et de vérité, date entre les xviiie et xixe siècles. Dans l'art moderne et l'art contemporain, on abandonne la notion de beau ou de style intemporel pour voir dans l'art une création de l'homme, la production de quelque chose de nouveau avec lequel une époque s'identifie.
L’art est souvent défini comme porteur d’une fonction décorative et distrayante. Cette restriction de sens de ce concept est due au large tri que le temps a effectué sur celui-ci en ne gardant que les œuvres les plus plaisantes, les plus jolies, les plus belles, porteuses de symboles, comme les peintures de Van Gogh ou Picasso, et les sculptures antiques comme celles représentant de grands philosophes grecques comme Platon, Aristote ou le célèbre Penseur. Mais l’art couvre une gamme d’expression bien plus large que celle faite par nos mécènes. Il englobe le théâtre de rue avec la comédie, les chansons populaires, la poésie, les fresques des habitations ou même les graffitis qui recouvrent souvent les murs de nos rues. « Le mot art ne définit pas seulement l’habileté d’une technique mais la capacité d’expression d’un idéal. » Les effets de l’art sont transmis grâce à l’emploi de signaux visuels, auditifs ou audiovisuels, à tous ceux qui, accidentellement ou volontairement, deviennent des spectateurs de ces effets(...)

Rossignol L a dit…

(...) Les effets de l’art sont transmis grâce à l’emploi de signaux visuels, auditifs ou audiovisuels, à tous ceux qui, accidentellement ou volontairement, deviennent des spectateurs de ces effets. Il en résulte un processus de fascination provoquant une modification plus ou moins profonde de leur champ psychologique selon le degré de valeur esthétique de la création.
Cette modification doit aller dans le sens de la transcendance, de la sublimation et de l’enrichissement spirituel par l’intermédiaire du jeu complexe de la sensibilité et de l’intellect humain. Grâce à la faculté de dépassement du créateur, les productions esthétiques à forte percussion pénètrent à travers les réseaux de communication multiples, dans la réalité sociale. Pour atteindre ce but, le créateur doit utiliser un langage et des techniques.
Et si l’art se définissait autrement ? Et si ce concept était bel et bien un allié de la pensée et du langage ? On dit souvent que l’art cache ou dévoile quelque chose ou un sentiment. L’art renferme ce que l’artiste décide de mettre en lui. Il est un journal intime, une manière de provoquer, de montrer sa colère, son dégoût, sa joie, son impuissance, son amour, une manière de dire d’une autre façon que par les mots ce que renferme la pensée. Il est au-delà du simple support, une prise de parole qui permet d’aller au cœur des choses, d’ancrer notre existence dans la vie et dans le monde, de dire, d’agir et de dénoncer.
L'œuvre d'art est toujours et a toujours été chose sensible. L'être humain est né dans un contexte où l'art est présent tout autour de lui depuis des siècles ou devrais-je dire depuis toujours. Ce qui a tendance à caractériser ces objets comme des objets artistiques et qui fait qu’ils ne sont pas réduits à des objets quelconques comme l’est une gomme par exemple, est que ces productions ou objets nous affectent dans une certaine mesure. En effet, ils provoquent en nous un état d’esprit différent de celui dans lequel nous nous trouvons en utilisant la même petite cuillère chaque jour. Ils ajoutent en nous des éléments affectifs et émotionnels qui rayonnent vers nous d'une façon particulière et c'est cette même particularité qui fait qu'on ne les confond pas avec autre chose.
En effet, si l'être humain voit l'œuvre d'art accrochée au musée comme il voit le tableau noir d’une salle de classe, il ne les confondra pas pour autant et bien heureusement. Ces deux objets sont liés au monde et à l’être humain mais ils ne le sont pas de la même façon. Ils dépendent d’un contexte particulier et donc d’un contexte différent. Le critère même de cette différenciation s’évalue sur le mode des valeurs esthétiques qui permet donc à l’être humain d’avoir un accès privilégié à ces objets.
L'art vient puiser au plus profond de l'être humain, il est comme le reflet d’une vérité qu’on ne voit pas dans la vie de tous les jours, d’une réalité cachée qui n’est accessible que par la mise en application dans la production artistique. Il est l’expression de tous les états d’esprit de l’être humain. Le processus du passage de l'impression à l`expression orientée vers l'esthétique est complexe car bien que toute œuvre soit expression, toute expression n'est pas art. Et c'est sur ce même processus que se fonde le travail de l'art-thérapeute.
Ainsi, l'œuvre d'art est le produit d'une activité humaine. Pourtant, nous ne nommons pas œuvre d'art n'importe quelle production humaine(...)

Marine Rousseau a dit…

Je me souviens d’une discussion avec une de mes colocataires étudiante à l’Ecole Supérieure d’Art et de Design de Reims : « je ne comprends pas, toi qui fait des études de philosophie, tu devrais être la première à accepter l’art moderne et comprendre leurs messages ». Peut-être que je n’ai pas été assez initiée, qu’on ne pas montré ce qu’il fallait voir. L’échec c’est ce qui se produit entre moi et le contemporain. « Loin de moi l'intention ridicule de faire dans son ensemble une critique de l'art moderne qui a ses maîtres incontestables », c’est ce que je me dis toujours, mais justement je n’arrive pas à faire taire ma subjectivité, ni à m’empêcher de critiquer, mais en ai-je vraiment le droit ?
Cette même étudiante m’avait montré ce qu’était entre autre l’art moderne qu’elle étudiait : http://www.lostateminor.com/2010/05/24/boltanksis-no-mans-land-installation/, un artiste, m’avait-elle expliqué, qui avec ses amas d’habits voulait représenter la mort, des habits étalés sans corps (et encore, c’est ici ma vision), je me souviens lui avoir envoyé une photo un jour où l’on voyait mon linge que je venais d’étendre, lui indiquant que c’était mon installation. Cela l’a fait rire, mais je crois que je n’étais pas loin.
Bien sûr j’en plaisante, mais effectivement je pense que la question reste entière. Au début de l’année dernière je voulais faire mon mémoire sur le rapport entre l’auteur et son œuvre, et la place du "spectateur" (soi-même et autrui). Je me demande encore quelle place j’aurai donné à l’art moderne, je réponds toujours, et ce très bêtement j’en conviens, que ma nièce de 4 ans aurait pû faire la même chose voire mieux (comme quoi je ne suis pas initiée puisque je n’ai en tête que des tableaux avec des traits de couleurs jetés au hasard, mais ce n’est pas au hasard m’a-t-on un jour répondu…).
Pourtant la philosophie devrait me permettre d’ouvrir d’autres portes, mais je n’ai jamais réussi ne serait-ce qu’à l’entrouvrir…
On me dit qu’il ne faut pas seulement regarder l’œuvre et qu’il faut aussi écouter son message. Certes on nous dit aussi que le langage est un outil dangereux rempli de voiles et d’étiquettes, mais pour une fois je pense qu’il aurait été plus efficace et appellerait l’objectivité des sentiments.
Et je ne parlerai pas de la musique contemporaine, où trois faux accords plaqués suffisent pour faire un chef-d’œuvre. Mais je resterai philosophe en pensant que si je n’arrive pas à accueillir ce nouvel art c’est parce que n’ai pas encore atteint la branche la plus haute de la connaissance et que je parle de quelque chose qui m’échappe…

Romain Dupont a dit…

Tout le monde peut avoir un avis sur l’art, tout comme tout le monde est doté de raison. Le jugement pertinent cependant, tout comme le bon sens, pourrait quant à lui ne pas être distribué de façon égale entre les individus. Y aurait-il alors un art vrai qui serait à distinguer de l’art faux ? Un art que seul certains érudits pourraient comprendre, les distinguant de la masse ignorante ?

Il est toujours intéressant de ramener une œuvre artistique quelle qu'elle soit dans son contexte afin d'en comprendre le sens et le but recherché. Cette recherche de sens est évidemment liée à l’époque ainsi qu’à l’artiste lui-même et son histoire ou ses engagements. Certaines œuvres ne semblent cependant pas contenir de sens, à moins de laisser le spectateur créer le sien, selon son jugement propre. Il est aisé de s’en prendre à l'art contemporain qui s'est vu ces dernières années devenir une cible privilégiée du fait de certaines exubérances comme ce cœur géant à 650 000 euros porte de Clignancourt décidé par Mme. Hidalgo. Cela peut aussi être un problème d’inspiration, du fait d’un ennui global depuis plusieurs décennies dans un Occident sans émulsions ni révolutions, auquel s’ajoute un développement de la censure qui avait disparu du fait de nouvelles libertés à partir des années 1960 (droit à l’avortement, droits des gays, fin des guerres d’Algérie et du Vietnam…) avant de revenir progressivement, jusqu’à désormais, l’impossibilité pour certaines personnes de s’exprimer.

Mais ce manque d’inspiration n’est pas présent partout. Il y a, par exemple, en ce moment une révolution dans le cinéma géorgien avec l’émergence de jeunes cinéastes talentueux après l’aire d’autocritique ayant suivi la fin de l’URSS et n’ayant pas autant plus aux locaux qu’aux spectateurs extérieurs. Alors si ce n’est pas la faute des artistes, c’est peut-être celle du public ?

En tant que passionné de cinéma, il est toujours irritant d'entendre dire que le cinéma français actuel est mauvais et que les Américains sont bien meilleurs. Mais alors un cinéphile (pas moi), dans une recherche d’objectivité, pourrait-il prétendre pouvoir définir ce qu’est réellement le bon et le beau dans le septième art, afin de guider le public vers le vrai cinéma ? Derrière ce narcissisme se trouve une vraie interrogation sur ce que doit être un art ; quelque chose capable de faire ressentir des émotions ou bien la production d’œuvres répondant à des critères techniques la rendant bonne ou mauvaise ? Il est possible d’étudier un art pour comprendre comment il fonctionne, mais il semble impossible de dire ce qui est de l’art de ce qui n’en est pas, bien que cela n’enchaîne pas certains de juger sans effort de réflexion. L’art selon Schopenhauer est « contemplation des choses, indépendante du principe de raison ». Le public ne serait donc pas à éduquer car l’art ne dépend pas de la raison. Artistes et spectateurs peuvent donc continuer leur chemin quitte à se rencontrer à l’occasion, sans qu’il n’y ait de vrais fautifs à ce rapport quelquefois compliqué et tumultueux. Il s’agit donc pour l’artiste de s’éduquer à ne pas plaire à tous et d’accepter la possibilité d’être incompris.

algiz.odal a dit…

L’art que nous pouvons connaître depuis l’époque impressionniste nous fait beaucoup de questions, concernant celle que nous essayons à tout prix de résoudre, tout du moins, d’en trouver des liaisons importantes : qu’est-ce que l’art ?
La formation à l’art, de manière générale, devrait se faire à travers l’œil, c’est-à-dire à travers l’observation de la nature. Quelle se fasse avec un objectif, une loupe, des jumelles, ou même notre simple focale. L’observation d’œuvre permet en outre, de comprendre des mécanismes du pinceaux, de placements, de détails sculpturales. Griffonner avec ces yeux est devenu ce qu’il y a de plus difficile par notre époque où se prendre en photo devant une œuvre est devenu le plus important que de regarder, et de s’approcher. Dire pardon devant notre œuvre préférée, voilà qui n’est plus commun. Cela vaut dans tous les arts. Aussi devant Monet au Musée d’Orsay, que Rodin à son hôtel particulier. Les Nymphéas de l’Orangerie sont dans des salles faites pour ces œuvres incurvées, ne serait-il pas préférable de contempler les tableaux ainsi fait que de se procurer une télévision incurvée où il est possible de mettre une représentation de ce tableau. Voilà bien la critique qui pourrait être faite de nos jours, la représentation plutôt que l’originale. De même que la Porte de l’Enfer, trônant au milieu d’un jardin nous écrase par son imposante hauteur, les détails nous mangent si nous osons nous approcher d’eux ; la représentation, l’écran, permet de voir les détails que nous ne pouvons guère observer si nous sommes sur le pas de la porte. Mais cela n’est-il justement pas fait pour que nous restions sur le pas de la porte, à hésiter à sonner ? Aurions-nous même le courage de nous en approcher ?

L’ouverture de nouveaux courants artistiques marque nécessairement une rupture brutale avec ce qui se faisant auparavant : parce que les schèmes ne sont plus respectés. Les grands maîtres de certains courants se demandent s’ils resteront, alors blâmer ceux qui arrivent se retrouvent à être leurs « forces ». Les provocateurs dont Damien Hirst, font vomir certains mais d’autres diront que cela constitue une rupture. L’art, n’est-ce pas justement, des ruptures permanentes sur ce que nous connaissons en matière d’art ? La découpe représentée montre un travail concernant le charnel, l’anatomie de l’animal, l’homme qui tronçonne, ne fait-il pas le même travail ? Il ne suffit pas nécessairement de couper pour voir ce qu’il y a l’intérieur. Cela marque une évolution de la subjectivité. L’art n’est pas fait que pour être assis durant des heures devant un tableau, à contempler un paysage, la recherche du sentiment dans le regard, dans le corps est maître dans l’art contemporain, là est la grande rupture.

rachid El aalem a dit…

La fonction de l’art dit Nietzsche “est d’embellir le monde et de le rendre plus supportable”, l’art est l’activité métaphysique fondamentale de l’homme, la forme suprême de l’activité humaine “ le monde est une œuvre d’art qui donne naissance à elle-même” (le crépuscule des idoles). L’œuvre d’art selon Hegel est une manifestation du divin, qui s’opère par la médiation de l’homme créateur, l’art permet à l’homme d’avoir conscience de lui-même, théoriquement : en se regardant et en pensant à lui-même, et aussi pratiquement, par son activité, en transformant les choses extérieures à lui, Hegel dit : “ Le besoin universel de l’art est donc le besoin rationnel qu’a l’homme d’élever à sa conscience spirituelle le monde extérieur et intérieur, pour en faire un objet dans lequel, il reconnait son propre moi” ( P 87, L’esthétique, Hegel)

La caractéristique de l’œuvre d’art qu’elle soit laide, surréaliste, impressionniste...etc, c’est qu’elle ne dit pas à chacun quoi penser (ce serait une propagande idéologique comme l’ont été l’art religieux et le réalisme socialiste) elle se limite uniquement à exposer les gens à des expériences afin que ceux-ci réagissent chacun selon leur propre nature et leurs propres valeurs. L’esthétique du laid est devenue une spécialité artistique, l’art du laid est un mouvement artistique, à l’époque des lumières, le laid devient un objet de préoccupation esthétique au moment où l’esthétique est constituée comme discipline philosophique et définie comme science de la connaissance sensible. Dans l’Aestitica de Baumgarten en 1763, Kant voit dans la laideur l’instrument du plaisir négatif et de la terreur délicieuse, quant à Hegel, il annonce dans l’esthétique du laid de Rosenkranz en proposant une esthétique de la laideur, il affirme que dans le monde moderne, l’idée ne se manifeste plus sous la seule forme du beau, mais embrasse aussi d’autres représentations qui relèvent de la sphère de ce qui n’est pas beau.

L’art au XX siècle a connu un tournant radical à travers l’art contemporain qui s’est libéré de toute les contraintes de style d’orientation et de construction, avec le popart, l’art povera, l’art féministe, l’hyperréalisme, le slow art, le support surface, le cyber art ...etc. Les enjeux de ces mouvements d’art contemporains ont poussé à repenser la fonction de l’art, le but n’est plus de représenter fidèlement la réalité mais de révéler ses zones d’ombres, ses zones d’irréalités, ses contradictions et ses crises, de nouvelles forment d’art se créent grâce à la technologie comme : l’art vidéo, l’art informatique, le bio-art, l’art numérique, une question fondamentale qui se pose aujourd’hui : qu’est ce qui a le plus de valeur, l’œuvre d’art physique ou numérique ? Damien Hirst, le peintre britannique controversé qui a dominé la scène de l’art britannique dans les 1990 en tant que membre du groupe des “Young British Artists”, a répondu à cette question lors d’un exposition avec des NFT pendant laquelle le britannique a brulé toutes ses propres peintures, le titre de l’œuvre, était composé de phrases manuscrites tirées des chansons préférées de l’artiste “Dead bird” “ I can see it now” Pour Damien Hirst: l’art n'existe pas dans l’objet artistique, il existe dans l’esprit de celui qui regarde, et ce projet n’est pas vraiment différent, l’art n’aura pas besoin d’exister dans le monde physique, il peut aussi exister dans le monde numérique et maintenant grâce à la blockchain il est de même pour la propriété de cet art.

Rachid El aalem
M1 philosophie EAD 2022/2023