On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

vendredi 24 octobre 2008

Taser et torture (suite)

Le Réseau d'Alerte et d'Intervention des Droits de l'Homme (RAIDH) a rendu, le 8 février 2008, son rapport sur "L'usage de pistolets électriques paralysants par les forces de l'ordre française" au Haut commissariat aux Droits de l'Homme et au groupe de travail du Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies.
J'en extrais ce passage :
"Les PIE infligent de grandes souffrances physiques ou mentales et portent atteinte à la
dignité humaine de la victime. Infliger une telle douleur à une personne ne peut être en
aucun cas justifié. De plus, immobiliser une personne en la laissant plusieurs secondes
paralysée revient à la mettre dans une situation dégradante.
Et, si l’objectif est d’immobiliser la victime, il faut se demander si un tel objectif nécessite
de faire subir un choc électrique aussi fort. On peut se demander si d’autres moyens ne
peuvent être utilisés et si le recours au PIE n’est pas disproportionné. Il n’est pas justifié
d’infliger des traitements cruels, inhumains et dégradants à une personne en vue de
l’immobiliser, l’arrêter ou l’interroger."
La société Taser international présente le PIE (Taser X 26) comme une arme non-mortelle permettant d'éviter des "bavures" policières et de "sauver des vies". Pouvant immobiliser un individu situé à 7 mètres de distance, elle lui envoie des décharges électriques de 50000 volts, pendant au moins 5 secondes, qui coupent la liaison entre son cerveau et ses muscles.
Cette arme de neutralisation - en réalité, d'électrocution -, qui remplace les techniques traditionnelles d'interpellation, est accusée d'être responsable de plus de 160 décès aux Etats-Unis et au Canada et, pour nombre d'ONG, il s'agit, en effet, d'un instrument de torture ou bien infligeant des "traitements cruels, inhumains ou dégradants", qui viole les dispositions du droit international prohibant de tels actes.
En 2006, dans près de 3/4 de cas (74 sur 95), le Taser a été utilisé par la gendarmerie nationale française en vue de "réduire" des actes de "résistance manifeste", mais seulement 4 fois en état de (prétendue) "nécessité" et 14 fois (13%) en état (toujours prétendument) de "légitime défense". En sorte que ce qui est dénoncé, c'est son usage totalement "disproportionné" par rapport à ce qu'eussent exigé les cas dans lesquels il a été très généralement employé.
Selon une note du Directeur genéral de la police nationale, en date du 9 mai 2007, que RAIDH a pu se procurer :
" L'utilisation d'un pistolet électrique par un policier est assimilable à l'emploi de la force. Celui-ci n'est possible que lorsque les conditions requises par la loi l'autorisent. Il en est ainsi prioritairement lorsque le fonctionnaire de police se trouve dans une situation de légitime défense (article 122-5 du code pénal).
En dehors de cette hypothèse principale, l'emploi de cette arme, qui doit en tout état de cause rester strictement nécessaire et proportionné, peut également être envisagé :
- soit dans le cadre de l'état de nécessité (article 122-7 du CP) ;
- soit en cas de crime ou délit flagrant pour en appréhender le ou les auteurs (article 73 du code procédure pénale), mais sous certaines conditions. Toujours strictement nécessaire et proportionné, l'usage ne pourra en être fait qu'à l'encontre de personnes violentes et dangereuses.
Je rappelle également que les pistolets à impulsions électriques sont inscrits sur la liste des matériels qui, en cas de mésusage ou d'abus, peuvent relever des cas de traitements cruels, inhumains ou dégradants (annexe III du règlement CE n° 1236/2005 du Conseil du 27 juin 2005 concernant le commerce de certains biens susceptibles d'être utilisés en vue d'infliger la peine capitale, la torture ou d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants)."
RAIDH souligne ainsi "le décalage manifeste entre la recommandation théorique selon laquelle l'usage d'un pistolet à impulsion électrique doit [peut, aurait été plus juste] prioritairement être exercé en cas de légitime défense et la réalité des pratiques."

  • www.raidh.org

    Voir également le rapport de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (2006) qui mentionne deux cas d'usage abusif du Taser en France, en particulier par le GIPN sur une détenue handicapée :

  • www.raidh.org

    Je vous le demande : mais dans quel pays sommes-nous ?
  • 2 commentaires:

    Anonyme a dit…

    L'on peut également souligner le fait qu'utilisant une "arme non léthale", les agents en question risquent d'utiliser ladite arme plus souvent qu'avec une "arme léthale" telle qu'un pistolet ou un revolver, pensant qu'il y a moins de risques qu'avec une balle.

    Or, il n'en est évidemment rien.

    Fiona Boulon a dit…

    "Je vous le demande : mais dans quel pays sommes-nous ?"

    Je dirais que nous sommes dans un pays largement influencé par la culture et le système américain. La France se laisse doucement corrompre par cette culture des armes, cette banalisation de la violence et cet éternel rapport de force Etat/citoyens soit disant nécessaire à notre sécurité. Nous vivons dans une société où les maitres-mots de l'Etat sont encore "Oeil pour oeil, dent pour dent" et cela me fait réellement peur - pour ne pas dire autres chose...

    Cet engin est absolument ignoble... mais il ne faut pas s'étonner du peu de contestations qu'il provoque quand on sait que la télé nous bourre le crâne de séries américaines nous montrant des scènes de torture et de violence (cf. votre dernier article).